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de vandalisme inconscient furent commis par les militaires. Il y eut des erreurs lamentables comme la construction du pénitencier de Lambèse sur toute une partie de l’emplacement où s’élevait le camp retranché de la IIIe Légion Auguste. A Tébessa, le célèbre petit temple de marbre blanc, avec ses bucrânes, ses Victoires, les colonnes corinthiennes de son péristyle, fut transformé en bureau de recrutement, puis en fabrique de savon. A Cherchell, les thermes et le théâtre furent saccagés par le génie et leurs matériaux employés à construire des casernes. La fameuse Vénus de Cherchell ne dut sa conservation qu’au plus grand des hasards. Un rustre l’avait déjà chargée sur sa charrette et la conduisait aux fours à chaux, lorsqu’un officier qui passait lui racheta le glorieux marbre condamné. La conduite de cet officier est loin d’être une exception. En général, l’armée a bien mérité de l’archéologie. Maintenant encore, partout où il y a des vestiges antiques, la garnison compte toujours un certain nombre de fouilleurs et de collectionneurs. La plupart des fouilles importantes a Aumale, à Sétif, à Lambèse, en beaucoup d’autres endroits, ont été commencées par des militaires.

J’ai, en ce moment, entre les mains, le carnet d’un vieux soldat de l’armée d’Afrique, — le capitaine Cloris : c’est le journal des fouilles commencées par lui à Tébessa, le 31 décembre 1865. J’en dois la communication à son fils, qui garde pieusement cette relique de famille. Rien n’est touchant comme ces notes, écrites d’une belle écriture moulée et bouclée, sur le même carnet régimentaire où le capitaine consignait, avec les noms et les matricules des troupiers de sa compagnie, les carreaux cassés et les fournitures de farine. Jour par jour, il y a relevé soigneusement, d’abord le nombre exact, des hommes employés au déblaiement de la Grande Basilique, puis, avec une extrême minutie, les plus humbles débris découverts par la pioche ou la pelle des terrassiers : un éclat de marbre, un manche de couteau en os sculpté, des cassures de tuiles en abondance, un fragment de corniche avec un dauphin en relief, un coin de fresque peinte à fleurs, des pierres plates qui formaient la balustrade du maître-autel, de petits morceaux de verre émaillé et colorié, des cubes de mosaïque en verre argenté. Ces menues choses brillantes et chatoyantes, ces jolies formes à demi effacées vous excitent l’imagination à mesure que vous