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lignes. Je le veux bien. Mais elles ne sont pas d’une exactitude parfaite. Et, si Barnave eut à comparaître devant le Tribunal révolutionnaire, ce ne fut point à cause de ce voyage qu’il avait dû faire en compagnie du Roi et de la Reine. On ne l’accusa point d’avoir eu des entretiens particuliers avec la Reine à la Ferté-sous-Jouarre ou à l’auberge en d’autres lieux. On ne lui en voulut pas d’avoir montré de la politesse à la famille royale. La vérité est que, dès avant le voyage qu’il fit en compagnie du Roi et de la Reine, on le soupçonnait de « capituler » avec la cour ; et qu’il fut mis en accusation quand Larivière eut signalé à l’Assemblée législative un papier qu’on venait de trouver aux Tuileries intitulé : Projet du comité des ministres concerté avec MM. Lameth et Barnave.

Puis, même si l’on est « ému, » comme le veut M. Welvert, du souvenir que Barnave conserva de son voyage, ces quelques lignes ne suffisent pas à révéler un Barnave que les charmes de la Reine ont ravi et qui, pour l’amour de la Reine, devient le protecteur de la monarchie. Et, quant à dénicher un autre indice de l’impression que fit sur Barnave Marie-Antoinette, il faut y renoncer.

Marie-Antoinette eut quelque difficulté à obtenir qu’il se mit en correspondance avec elle, plus de difficulté à obtenir qu’il vînt la voir aux Tuileries. Encore eut-il soin de n’être pas seul compromis ; et il voulut que Du Port et Lameth fussent pour le moins ses confidents. L’on ne voit rien, dans la correspondance de la Reine et de Barnave, qui prouve un sentiment un peu attendri. C’est qu’il fallait se méfier ? Toujours est-il qu’on ne voit rien, que de la politique, et assez bien manigancée.

Mme Campan nous a fait un Barnave qui « met aux pieds » de la Reine « le seul parti national qui existât encore : » et c’est le parti des Jacobins. Elle raconte que, la Reine ayant laissé voir que les Jacobins ne lui inspiraient pas confiance, Barnave résolut de quitter Paris ; et il obtint une dernière audience : « Vos malheurs, madame, aurait-il dit, m’avaient déterminé à me dévouer à vous servir. Je vois que mes avis ne répondent pas aux vues de Vos Majestés. J’augure peu du succès du plan que l’on vous fait suivre ; vous êtes trop loin des secours : vous serez perdus avant qu’ils ne parviennent à vous. Je désire ardemment me tromper dans une si douloureuse prédiction ; mais je suis bien sûr de payer de ma tête l’intérêt que vos malheurs m’ont inspiré et les services que j’ai voulu rendre. Je demande pour toute récompense l’honneur de baiser votre main. » La Reine, ajoute Mme Campan, « lui accorda cette faveur, les yeux baignés de