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relations avec elle eussent cessé avec son voyage si la Reine ne l’eût pas invité à les renouveler. » Que Barnave n’ait pas eu d’entretiens avec la Reine avant le 23 juin 1791, admettons-le, puisqu’il le dit et à la Reine.

Mais, qu’il eut avant cela, quelques relations avec la Cour, je le crois. M. Welvert cite un fragment des Mémoires de La Fayette où il est dit que MM. de Lameth, Du Port et Barnave passaient, depuis quelque temps, pour avoir des rapports secrets avec la Cour ; et l’on se demandait s’ils n’avaient pas été dans la confidence de la fuite du Roi et de la famille royale : aucune preuve, dit La Fayette, aucun aveu ne l’a établi.

On se le demandait. Et, par exemple, nous lisons, dans la Correspondance secrète que M. de Lescure a publiée, ces lignes, à la date du 28 mai 1791 : « On prétend que MM. Lameth et Barnave capitulent avec la Cour et que même ils ont eu une entrevue avec la Reine. » Le 28 mai, c’est-à-dire environ trois semaines avant le départ du Roi et de la Reine. Du reste, il y a certainement des ragots dans cette Correspondance secrète ; et je ne dis pas du tout qu’il soit prudent de se fier à elle. Mais enfin, Pasquier, futur chancelier de France, raconte que, le soir même de la fuite, le hasard le fit dîner avec MM. de Beauharnais, Barnave, Menou, Lameth et Saint-Fargeau : « Leur conversation eut tous les caractères d’un absolu découragement. » Ce n’est pas du tout que Pasquier les soupçonne d’avoir été dans la confidence : ils paraissaient ignorer même la route qu’avait dû prendre le Roi. Toujours est-il que cette aventure les tourmente : et c’est que la politique de Barnave, loin d’exclure le Roi, comptait préserver, augmenter même, les pouvoirs et l’autorité du Roi.

Et voilà pour la politique. Mais il convient de ne pas considérer du seul point de vue de l’idéologie cette politique de Barnave. Quel était Barnave, dans les mois qui ont précédé Varennes ? Un garçon bien élevé, qui avait bon air et qui trouvait un grand plaisir à se distinguer de ses collègues, pour la plupart dépourvus d’élégance et de savoir-vivre. On le trouvait joli homme et bien fait, dit M. de Lévis, quoiqu’il n’eût pas les traits fort réguliers. Le visage trop long, la bouche grande : mais la bouche d’un orateur. Il avait de l’esprit ; et il avait le défaut d’ « abonder dans son sens : » mais on le croyait, à cause de cela, plus convaincu et ses paradoxes rivalisaient avec la vérité. Il avait de la coquetterie ; et c’était son jeu favori de promener dans les salons et dans les environs de la Cour les opinions les plus hardies, que son bagout, son art et son effronterie adroite