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Quand j’étais correspondant du Temps à Londres, de 1906 à 1908, j’ai eu bien des fois l’occasion de l’approcher. Il était alors au début de sa carrière politique. Je me souviens d’un mot de Léo Maxe, directeur de la National Review : « Ayez l’œil sur cet homme, me disait-il. Il ira loin. » Cette prédiction s’est réalisée. Voilà M. Lloyd George devenu le maître de l’Angleterre. Sa puissance, quoi qu’on en dise, n’est nullement diminuée, tout au contraire. Il gouverne comme il veut le Parlement dont il a fait élire les trois quarts des membres. Le Foreign Office regimbe parfois contre ses incursions dans la politique étrangère ; mais il finit toujours par s’incliner. Impressionnable et mobile, d’une mobilité féminine, sujet à des revirements subits, aisément influençable, ne connaissant des choses que ce qu’il en a appris de très fraîche date, son instruction primitive étant très faible et presque inexistante, impétueux dans ses décisions, il offre avec M. Millerand, son partenaire, un contraste aussi marqué que possible.

Quelqu’un, qui sans les connaître, les verrait discuter face à face et à qui on demanderait lequel des deux est le Français, lequel des deux l’Anglais, risquerait fort de commettre une erreur.

M. Lloyd George paraît en ce moment dominé par une idée ou plutôt un sentiment : la terreur du bolchévisme. En politique étrangère aussi bien qu’en politique intérieure, tout pour lui se ramène à cette considération. Pour le désarmement de l’Allemagne il nous a donné, loyalement, sincèrement, son appui. Il a tenu à la délégation germanique un langage des plus énergiques et qui a dû beaucoup l’impressionner. Pour le charbon, la situation est autre. Les intérêts de l’Angleterre sont très différents des nôtres et même dans une large mesure opposés. M. Lloyd George est du pays de Galles, la région des grands charbonnages. C’est dire que l’idée d’occuper militairement la Ruhr pour contraindre l’Allemagne à s’acquitter ne pouvait pas en principe lui agréer beaucoup. M. Millerand n’en a eu que plus de mérite à l’y convertir. Il a fait, au moment voulu, les concessions nécessaires. Il a décidé, très sagement, très judicieusement de prolonger son séjour à Spa. Mais, sur la question essentielle, les deux millions détonnes mensuelles, il s’est montré irréductible et il a finalement obtenu gain de cause. Les Anglais ont admis formellement, au cas où les Allemands ne