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par les jours de vent, et que les gars ont grand’peine à maintenir à bout de bras. La se pavanent, en robes et chapeaux fleuris d’argent, cortèges de noces et de baptêmes ; là tournent gavottes et dérobées, à la glapissante musique des sonneurs juchés sur des tonneaux.

Si longtemps qu’on soit resté sans revenir au pays, on y retrouve des figures de connaissance, des voix amies qui vous accueillent par votre nom. Il y a Bozon, le vieux gardien bancal du phare, Bellec, le syndic, les passeurs du bac, les deux douaniers de la mer, le pilote du large et celui de la rivière, — presque tous assis, le soir, sur le petit parapet de la cale, les yeux tournés toujours vers l’estuaire, vers la porte qui s’ouvre au loin, entre deux promontoires, sur les libres infinis. Ils se serrent pour vous faire une place au milieu d’eux, et, les salutations terminées, les propos de reprendre tout de suite.

Il s’agit toujours des choses de la mer et de la pêche, des vents qui remontent ou descendent, du passage des bateaux, de vieilles histoires du service, de navigations d’hier et d’autrefois, de mauvais temps rencontrés derrière les Glénans ou dans les mers de Chine, « côté Ouessant » ou « côté Sumatra. » Ils vous parlent avec une politesse parfaite, les vieux surtout, en marina qui ont gardé de leur temps à l’État, de leurs relations avec leurs officiers, une certaine idée de hiérarchie sociale, ce qui ne les empêche pas de vous regarder droit et de se sentir des hommes.

Aussi bien, quelque chose du vieil ordre subsiste toujours dans cette petite société fermée ; l’âme du passé y habite ; elle est sérieuse comme ces bois, comme ces retraites ombreuses où l’eau verte de la mer mire des feuillages. Ceux qui, à Brest ou à Toulon, ont appris d’autres façons d’être et de parler, reviennent vite, sous les suggestions muettes de ces campagnes, à la tenue ancienne. Nulle vulgarité moderne ne saurait durer dans ce grave pays de la rivière, où rien n’a jamais changé, — la vie des hommes pas plus que celles des courlis et des hérons. Ces futaies, allongées des deux côtés du couloir marin, appartiennent toujours aux mêmes familles bretonnes, qui croiraient déchoir en vendant une parcelle du domaine héréditaire. De Quimper ou d’Angers, elles viennent se retirer, pour une partie de l’année, dans ces châteaux, au milieu de fermiers et de gardes-chasses pénétrés de la dignité des maîtres, et qui