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eût donné son consentement à l’unanimité et il a conclu que la France demeurait, par conséquent, maîtresse de la décision. Il a, du reste, répété que, pour reprendre son activité économique, l’Autriche devrait passer des conventions avec les autres États nés de l’ancien Empire et que la France s’emploierait à favoriser ces ententes. Plusieurs sénateurs, et non des moindres, n’ont cependant pas répondu à l’appel du Gouvernement et, avec une verve incisive, M. François Albert s’est fait l’interprète de leurs scrupules. Ce n’est pas seulement, a-t-il dit, avec la politique traditionnelle, de la France que le traité est en contradiction; il est la négation de toute politique rationnelle; on n’a pas su diviser le germanisme entre deux tronçons viables, assez torts pour s’opposer l’un à l’autre; la diplomatie ne doit pas se borner à enregistrer les faits; il faut qu’elle sache les prévoir et les redresser; l’obstacle qu’on a mis à la fusion de l’Autriche et de l’Allemagne n’est qu’une toile d’araignée; le traité fait de l’Autriche un cadavre; devant le redoutable inconnu que contient le traité, la sagesse conseille l’expectative et l’abstention. La spirituelle improvisation de M. François Albert a obtenu le plus vif succès. Malgré une nouvelle et pressante intervention de M. Millerand, cinquante-neuf sénateurs se sont abstenus et dix ont même voté contre le traité. Parmi les deux cent trente-sept qui ont volé pour, beaucoup s’étaient associés par leurs applaudissements’ aux critiques de MM. de Lamarzelle et François Albert. Bénis, dans l’autre monde, sont les faiseurs de paix!

Lorsque viendra en discussion le traité avec la Hongrie, que M. de Monzie eût trouvé plus logique d’examiner en même temps que celui de Saint-Germain, il est peu probable que l’accueil soit sensiblement plus chaleureux; et si jamais, comme il faut, malgré tout, l’espérer, le traité turc est, à son tour, soumis au Parlement, à quelles controverses passionnées ne nous devons-nous pas attendre! Nous en avons eu déjà un premier aperçu par les débats engagés, ces temps derniers, à la Chambre et dans la presse, à propos de Mossoul, et par la brillante passe d’armes de MM. Aristide Briand et André Tardieu. M. Briand a consacré un art prestigieux à l’apologie des accords qui avaient été conclus sous son ministère, en 1916, par M. Georges Picot et le colonel Sir Mark Sykes. Il a rappelé en termes émouvants les glorieux souvenirs de notre histoire méditerranéenne et proclamé que nous n’avions pas le droit de les répudier. Il s’est demandé comment et pourquoi, ayant en main une convention précise, ses successeurs avaient renoncé à Mossoul, malgré les