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rière la tête, et qui, évidemment, seraient tout autres, si ses croyances étaient elles-mêmes différentes.

J’estime que rien n’est plus légitime que cette attitude. L’impartialité en histoire ne consiste pas, comme on se l’imagine parfois, à ne jamais prendre parti, à tout mettre, hommes et choses, sur le même plan, à prodiguer aux doctrines, aux personnalités les plus opposées la même sympathie, — ou plutôt la même banale indifférence. Elle consiste au contraire, et uniquement, à ne pas juger trop vite, à s’entourer de tous les éléments d’information qui peuvent nous amener à modifier, corriger ou atténuer les réactions toutes spontanées de notre sensibilité, à ne jamais altérer la réalité des faits ou des doctrines que l’on expose, à s’efforcer enfin d’être juste envers tout le monde, amis et adversaires. À entendre certains partisans de l’histoire dite « scientifique, » — laquelle n’est qu’un mythe, — on pourrait croire que l’élaboration de la vérité historique se fait aussi simplement, aussi infailliblement dans l’esprit de l’historien que la combinaison d’un acide et d’une base dans une éprouvette de laboratoire. Ils oublient que l’éprouvette est ici une âme humaine, une force spirituelle indépendante et irréductible qui, déjà, est intervenue nécessairement dans le choix des matériaux qu’elle utilise, et qui, non moins nécessairement, s’ajoute à eux pour les pénétrer de sa propre substance. Vouloir éliminer en histoire « l’équation personnelle, » obliger l’historien à n’être en quelque sorte qu’un simple appareil enregistreur, c’est d’abord chose impossible et illusoire, et, si c’était possible, ce serait le réduire à la plus parfaite insignifiance. Bacon disait de l’art qu’il est l’homme ajouté à la nature, homo additus naturæ ; il faut dire de l’histoire qu’elle est, et qu’elle ne peut pas ne pas être l’homme ajouté aux faits, homo additus rebus.

Georges Goyau, — et il faut l’en louer, — a mis sa personne dans son œuvre. Il est trop évident qu’un protestant convaincu ne raconterait pas tout à fait comme lui l’histoire du Protestantisme allemand, ou celle de Genève. Mais il est intervenu dans les opérations de son esprit avec tant de discrétion, il s’est soumis à l’objet de son étude avec une si scrupuleuse loyauté, il s’est efforcé avec une si touchante bonne foi de comprendre et de faire comprendre les idées et les personnalités qui lui étaient le plus naturellement étrangères, que ceux-là même qui résistent le plus vivement à ses conclusions s’instruisent et s’éclairent,