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la caricature, et M. Monteaux dans le rôle du sous-préfet a de la jeunesse et de l’esprit.


La Comédie-Française vient également de reprendre avec grand succès une des comédies les plus fameuses de M. Maurice Donnay. Paraître est, dans l’ensemble du théâtre de M. Donnay, une œuvre un peu à part. Elle est d’une note plus âpre, d’un dramatique plus violent. Ce que nous avons coutume de goûter chez le charmant écrivain, c’est la grâce nonchalante, l’ironie à fleur de peau et qui n’a pas l’air d’y toucher, la mélancolie qui s’arrête au seuil de la tristesse, le mélange de l’observation et la fantaisie, avec beaucoup de gaieté bon enfant. Et tout cela se retrouve dans les conversations qui peu à peu dessinent l’atmosphère de Paraître, comme dans les épisodes ingénieusement jetés sur la trame de l’action. Mais cette fois c’est à un des plus graves malentendus sociaux que l’auteur s’est attaqué et il a abordé une situation qui, telle qu’il l’a posée, ne pouvait se dénouer que tragiquement.

Le jour où, comme, dans les Voitures versées et dans Il ne faut jurer de rien, le jeune et riche Jean Raidzell est recueilli chez les Margès, pour y être soigné de ses blessures, le malheur entre avec lui dans ce paisible intérieur. Les Marges étaient d’honnêtes bourgeois qui vivaient modestement et jouissaient de leur médiocrité ; du jour où ils respirent l’air de la richesse, ils vont être entraînés dans le tourbillon, affolés par la détestable manie de paraître. Juliette Margès a eu le tort de trop bien soigner Jean et d’être trop jolie sous le petit bonnet d’infirmière. Revenu à la santé, le blessé épouse la Dame blanche, — huit ans avant la guerre… déjà ! Bientôt ce richard oisif et qui s’ennuie, cherche à se distraire avec une femme de lettres. Le mal ne serait pas grand, mais voici surgir l’autre danger. La belle-sœur de Juliette, l’avide et astucieuse Christiane, n’est devenue la maîtresse de Jean qu’avec le projet bien arrêté d’en faire un jour son mari. L’affaire est en bonne voie. Mais quelqu’un vient troubler la fête. Au moment où, sous le ciel méditerranéen, les deux amants cueillent les roses de la vie et baptisent celles des horticulteurs, Paul Margès, le mari de Christiane, ayant tout appris, saute dans le train et au débarqué loge une balle dans la poitrine de Jean Raidzell… A cet instant, la pièce est finie et j’estime que M. Maurice Donnay a tort de faire relever la toile sur un épilogue douloureux. Mieux eût valu nous laisser sous le coup de l’émotion causée par ce brusque dénouement.