Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la soupe, manger tout ce qui se mange et boire tout ce qui se boit, spécialement l’absinthe. » Qu’est-ce que Barnavaux ? Un homme qui sait faire ce qu’il s’est promis de faire. Et qu’est-ce que Barnavaux ? Le contraire d’un maladroit. M. Pierre Mille l’aime et l’estime pour cela.

C’est qu’à l’opinion de M. Pierre Mille, telle que toute son œuvre la révèle, la maîtresse est, en ce monde, et en Europe autant qu’ailleurs, la calamité la pire : cette maladresse qui vient de ce que les gens sont très mal informés des conditions de leur activité. Ils ne savent pas ! Et, honnêtes parfois, ils courent le risque d’avoir plus d’inconvénients que des canailles. Ce qu’ils ignorent, c’est un peu toutes choses, et notamment les âmes de leurs partenaires ou de leurs ennemis, les âmes de leurs interlocuteurs. La conséquence : une administration coloniale à contre-sens ; plus généralement, une querelle inutile et absurde et la grande misère des amis séparés, des amants infidèles et des ménages tout en haine. Un beau jour, Barnavaux s’est marié, ou peu s’en faut. Il a choisi pour compagne de sa destinée aventureuse une Louise, douce et bonne. Louise et Barnavaux ont un enfant ; Louise et Barnavaux sont un excellent ménage. Mais l’enfant meurt ; et Barnavaux a une sorte de chagrin qui est la sienne : Louise a une autre sorte de chagrin.. La tristesse a des nuances très fines que la gaité ne paraît point avoir, Et, dès la mort de son enfant, Barnavaux ne souhaite que de s’en aller ; où donc ? n’importe où ! On lui demande : « Barnavaux, pourquoi ne restez-vous pas avec Louise ? » Et il répond : « Je ne peux pas ! » Il aime cependant Louise plus que jamais. Seulement, il pense au malheur qui est arrivé : ça lui fait si mal qu’il a besoin d’en parler : à qui ? mais à Louise ! « Elle ne répond pas de la même façon ; elle ne pense pas les mêmes choses, quand nous pensons à la même chose… C’est à ce moment-là qu’on est le plus seul, parce qu’on suit son idée, qui ne peut pas être l’idée de l’autre. Je ne savais pas ça. Mais c’est sûr ; et il est impossible que ce ne soit pas comme ça ! » Et va-t-il abandonner Louise ? Non, certes ! « Seulement, on ne pourra se revoir que quand on aura perdu chacun le dessus de ses idées, le plus fort. Il en restera toujours assez, après, qui ne seront encore qu’à nous deux, pour qu’on soit plus pareil ensemble qu’avec tous les autres. » Barnavaux a de subtiles délicatesses du cœur et de l’esprit. Les mots lui manquent pour exprimer tout le détail de sa peine, mais non l’âme pour le sentir. Il a vu, dans les pays de la guerre continuelle, l’hostilité des peuples et des races ; et puis, rentré dans