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naïf, les yeux ronds, la bouche éberluée, qui semblaient vraiment deux garçons du village de Châtenay. Ils se défendirent longtemps, l’un et l’autre, à faire usage des drogues que leur présentait l’enchanteur. Cependant ayant, par l’effet des cercles, conjurations et figures magiques, accepté, l’un de se frotter de sirop, l’autre de gober la pilule, le public ébahi ne tarda pas à voir que le miracle opérait et qu’à peine ces paysans eurent touché, le premier sa viole, le second la flûte sur laquelle il posa ses lèvres, aussitôt il n’y eut rien de plus harmonieux et de plus enchanteur que l’air qu’on entendit.

Donneau de Vizé, toujours dans sa Relation des Festes, donne le mot de l’énigme. « L’on n’eut pas, dit-il, grand’peine à comprendre ce miracle quand on reconnut les deux paysans pour être MM. Forcroy et Descôteaux. » M. Forcroy, avec une virtuosité merveilleuse, appuyait ses lèvres sur le flageolet ; par l’harmonie qu’il arrachait à son instrument, il semblait qu’il donnât déjà l’illusion que* c’était l’air de Philémon qu’il offrait au public. Ce dernier, avec Descôteaux, n’avait pas moins le sentiment de se trouver transporté dans la bergerie.

Berger, Descôteaux l’était de toute sa personne, et cela, depuis ses gros sabots de village attachés de rubans d’azur jusqu’à son visage où se reflétaient la stupeur et l’ébahissement qu’il est convenu de donner, dans les opéras, à nos villageois. Son habit de Colin lui seyait, sous cet aspect rustique, au-delà de tout ce qu’on peut dire ; il portait un gilet et une cravate à fleurs du dessin lu plus naïf ; ses bas ressemblaient aux bas de François les Bas-bleus ; sa musette était une musette du Poitou et, pour sa figure, épanouie sous son chapeau de comédie à grands bords, elle offrait la fraîcheur et le coloris de ces belles tulipes que Mme la duchesse du Maine, dans les parterres de Sceaux arrangés par Le Nostre, avait plus d’une fois admirées en se promenant.


V. — DANS UN JARDIN, AU LUXEMBOURG

Chaque fois que Descôteaux se remémorait ces fêtes splendides de Sceaux, cela ne laissait pas de s’accompagner en lui d’une tristesse secrète et qui provenait de cette pensée que M. de La Fontaine n’était plus là et, pas plus que La Bruyère, n’avait pu assister au triomphe final de Baucis et de