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1789. Ce qui est intéressant, c’est la manière audacieuse dont il entend d’un mot caractériser chacune des générations qui, tantôt se continuèrent et tantôt s’opposèrent. Voyez en quelles formules brèves tiennent six générations : « Après les grandes crises du XVIe siècle, l’ordre européen est maintenu. Une génération écoute la voix de la Raison. Génération exemplaire : les Classiques. — Enorgueillis par leur maîtrise, ils deviennent les Magnifiques. Les magnifiques gaspillent et inquiètent : voici les Critiques. Ils sapent l’ordre ancien et annoncent un ordre nouveau : les Philosophes. Leur pensée est action : les Révolutionnaires. Ils accouchent l’Europe moderne dans le sang. — La nouvelle France est née : les Organisateurs. » Ainsi a-t-il montré la génération des Evêques sortir de celle des Néophytes, les Croisés jaillir des Terriens, les Bâtisseurs succéder aux Chevaliers, les Unitaires engendrer les Légistes, les Légistes se faire les Politiques et les Politiques, par nécessité, les Royaux. De si rapides formules peuvent être discutées : pour mon compte, elles m’enchantent, mais, avant tout, l’idée qu’elles concrétisent devant nous : cette continuité enchaînant les unes aux autres ces générations de Français qui, même quand elles s’opposent, ne servent pas moins notre éternel dessein en employant sans cesse à son triomphe des forces nouvelles issues du plus prodigieux génie collectif qui se soit rencontré.

L’éternel dessein : l’historien Je précise en signalant comment nos voisins ont agi ou réagi à leur tour sur nous. Nous nous opposons à l’Allemagne : la mission date de loin : la Gaule a fait appel à César contre le Germain ; un siècle après la conquête, et quand volontiers le Gaulois secouerait le joug de Rome, la question se pose à nouveau : un général romain Petilius Cerealis la résume en termes admirables : « Quand nos armées entrèrent dans votre pays, ce fut à la prière de vos ancêtres ; leurs discordes les fatiguaient et les épuisaient et les Germains posaient déjà sur leurs têtes le joug de la servitude. Depuis ce temps, nous montons la garde aux frontières du Rhin pour empêcher un nouvel Arioviste de venir régner sur la Gaule. Si l’Empire romain disparaissait, ce serait sur la terre la guerre universelle. Et quel peuple serait plus en péril que vous qui êtes le plus près de l’ennemi, vous qui possédez l’or et la richesse qui ont toujours attiré l’invasion ? » Les Rémois en tête, les Gaulois se rallient à l’argument : « toute l’histoire