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de prodigieuse façon le discours qu’il nous avait tenu en 1912 et qui, sans cesse, me revenait à la mémoire. Sous nos yeux, toujours, la France continuait. « Qui ne voudrait savoir, écrira l’historien, d’où vient cette race et d’où lui vient son âme ? » Sans doute, d’excellentes Histoires de France, — très anciennement ou très récemment, — ont, parfois avec une grande érudition à la base et un magnifique luxe de détails, retracé nos annales. Mais peut-être était-il temps de présenter aux Français, dans une série de discours nourris de lectures et éclairés par l’expérience, la continuité de notre effort, la variété de ses manifestations, et, dans cette variété, l’unité de cette action.

Et pourquoi, sous des dynasties successives et des régimes divers, à travers des circonstances si différentes et sur des terrains si variés, cette singulière unité, — sinon parce que, en fort peu de pays, pour ne pas dire en aucun, la Nation n’avait, à ce point, fait son histoire ? Sans doute a-t-elle connu de très grands chefs, — et, au premier rang, une incomparable dynastie de princes et sous eux, une admirable suite de ministres ; sans doute a-t-elle, après cette fortune, vu paraître à sa tête le génie sans pareil qui, un jour, l’a tiré du chaos où on croyait la voir sombrer ; et sans doute encore a-t-elle presque toujours rencontré, à l’heure des grandes crises, après le héros qui l’a sauvée, l’organisateur qui l’a restaurée. Mais c’est lieu commun que de dire que les pays ont les gouvernants qu’ils méritent. Pour la France, il faut aller plus loin : jamais pays n’enfanta plus manifestement ceux qui l’ont conduit ; il est facile de montrer une Jeanne d’Arc jaillissant des flancs de la nation, mais il n’est pas malaisé non plus de démontrer que la magnifique politique des princes de la Maison de Capet n’a pu être, avec une telle suite et un tel bonheur, pratiquée, que parce qu’elle n’était que la manifestation d’une politique nationale. Qu’il s’agit de reconstituer les Gaules sous le spectre des fils de Capet ou, lorsque l’étranger menaçait, de défendre le territoire, jamais nation n’a plus intimement collaboré à l’œuvre de ses princes. Ceux-ci ne perdirent que fort tard le contact avec ces « enfants des Gaules » que Philippe-Auguste haranguait le matin de Bouvines, et lorsqu’ils l’eurent perdu, ils étaient près de tomber. Leur politique était à ce point nationale que la Nation ayant, — après 1792, — pris en main la barre, continua cette politique et presque l’excéda : la centralisation fortifiant l’unité et la marche aux