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provoquer, à leur aise, dans les services publics, la cessation concertée du travail administratif et suspendre ainsi, par leur bon plaisir, la vie nationale ? C’est ici qu’apparaît de nouveau, suivant le mot de M. Millerand, la question de souveraineté.

Je sais que les agents qui émettent la prétention de pouvoir faire grève donnent de leur attitude cette explication subtile qu’ils n’entrent pas ainsi en conflit avec l’État, dont ils restent les serviteurs fidèles, mais avec les gouvernements, dont ils sont les victimes mal résignées. S’ils ont, d’aventure, à se plaindre des gouvernements, n’ont-ils donc pas, dans les Chambres, des défenseurs empressés qui sont toujours maîtres d’interpeller les ministres et de changer les cabinets ? Jusqu’à ce qu’un gouvernement soit renversé, c’est lui qui représente l’État ; c’est lui qui exerce le pouvoir au nom de la nation ; il a le devoir, dans l’intérêt même de la nation, de se faire respecter par les fonctionnaires. Toute autre doctrine est d’anarchie. Pour tenter de justifier le désordre administratif, quelques docteurs, qui se font les conseillers de la révolution, s’en prennent, il est vrai, à l’idée même de l’État et soutiennent qu’elle est archaïque. Ils en font remonter l’origine à la monarchie du XVIIe siècle ; ils disent qu’elle a trouvé sa forme la plus rigide dans le système de l’an VIII et qu’il faut adapter enfin des mécanismes surannés aux besoins changeants d’une société progressive. Faisons, aussi large qu’on voudra, la part de ce qu’il peut y avoir de juste dans ces observations. Admettons que soit à jamais passé cet âge légendaire, où une volonté directrice, tour à tour propulsive et répressive, se faisait sentir d’en haut jusqu’aux extrémités du corps social. Tenons pour définitivement ruinée cette organisation de l’an VIII qui, après une longue période de troubles, a cependant rétabli dans toute sa force l’unité française et répondu alors aux aspirations du pays. Il n’en restera pas moins qu’aucun régime administratif ne saurait, sans danger mortel pour la nation, dépouiller la nation de sa souveraineté. Même associés, des intérêts particuliers ne sont jamais que des intérêts particuliers. Même syndiqués, des citoyens ne se peuvent substituer aux représentants que le peuple a librement choisis. Où en serions-nous si des soviets administratifs se chargeaient dorénavant de gouverner la France, sans autre contrôle et sans autre frein que ceux de leur fantaisie et de leur arbitraire ?

Félicitons donc le Président du conseil et ses collègues du vaillant effort qu’ils font pour remettre un peu d’ordre dans la cité : ordre dans la rue, ordre dans les services publics, ordre dans les