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après de tels abandons, l’autorité gouvernementale, ce n’est pas chose facile, et si M. Millerand y réussit, il rendra à l’ordre public un service signalé.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : la question la plus importante n’est pas de savoir sous les auspices de quelle législation devront vivre désormais les groupements de fonctionnaires. Pas plus que la loi de 1901, la loi de 1884 ne leur attribue le droit de grève, ni, à plus forte raison, le droit de coalition. Le premier leur est refusé par le bon sens; le second par le code pénal. La forme syndicale ne constitue pas plus, en soi, un péril, que le cadre de l’association ne suffit, par lui-même, à donner une garantie. Syndicats ou associations, ce sont des vases où l’on verse tantôt la même liqueur, tantôt des liqueurs différentes. L’esprit de travail, de sagesse et de discipline peut animer un syndical et déserter une association. J’ajoute que, pour discerner les caractères distinctifs des deux types, le jurisconsulte est quelquefois obligé de chausser ses meilleures lunettes. S’il ne s’agissait vraiment que de l’étiquette légale à prendre par les communautés de fonctionnaires, on ne comprendrait guère la passion qui agite les intéressés et qui envenime le débat. Considérez chacun des deux mots et ne voyez en lui que l’idée simple dont la loi a voulu qu’il fût l’expression : vous ne trouverez pas entre eux d’incompatibilité fondamentale. Mais les mots, « ces passants mystérieux de l’âme, » sont de grands magiciens et de redoutables entraîneurs de foules. Ils sont toujours prêts à revêtir de fausses apparences et à représenter des associations d’idées, j’allais dire des syndicats d’idées, que l’erreur et le préjugé assemblent autour de la signification vraie. C’est ainsi que peu à peu le terme syndicat s’est présenté aux yeux de quelques personnes avec un sens très « avancé » et le terme association avec un sens plus « réactionnaire. »

Si nous cherchons à pénétrer les raisons profondes de cette contradiction, nous n’en trouvons, en dernière analyse, qu’une seule : le syndicat était le fruit défendu, tandis que l’association était devenue, dans toutes les administrations, le régime officiellement autorisé. Mais ce qui est intéressant, ce n’est pas cette querelle verbale, si ardente qu’elle soit, c’est l’appréciation du degré de liberté dont pourront désormais jouir, de quelque nom qu’ils s’appellent, les syndicats ou les associations de fonctionnaires. Auront-ils ou non le droit de s’affilier en toute liberté à des groupements dont les membres exercent d’autres professions que la leur et ne sont pas, comme eux, les collaborateurs de l’État? Pourront-ils, en outre,