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contraint et s’emporte ; les sonorités, les timbres choisis de l’orchestre, tout concourt à la grandeur, à la vigueur croissante de la scène. Sans compter qu’il s’y mêle, dans le personnage de la jeune fille, une faiblesse touchante et, sur des lèvres de vingt ans, des accents, des soupirs, où se trahit, autant que la volonté et le courage, la tristesse et la peur de mourir.

Le dernier acte est analogue et pour le moins égal au premier. Le même feu sombre, plus ardent peut-être, y couve longtemps et finit par en jaillir au dehors. Autour d’Orti revenue, qui se tait et qui songe, rôde, plus que jamais farouche, la vieille pythonisse, l’éternelle, implacable prêcheuse et prêtresse de mort. Avide de savoir, ses regards, ses gestes, autant que sa voix, interrogent et fouillent. Et la musique aussi, par toutes ses voix, par ses silences même, se fait questionneuse. Prudente, sournoise, elle mène par degrés et longuement je ne sais quelle enquête furtive. Elle entre peu à peu dans le mystère, elle approche du secret qu’elle pressent, que nous pressentons avec elle, et, comme elle, cette approche nous remplit d’une inquiétude qui va jusqu’à l’angoisse.

Le récit de la jeune fille racontant enfin à la grand’mère son pèlerinage, sa prière et l’acquiescement de la Madone, ce récit où se mêle à l’enthousiasme surnaturel un naturel effroi, se développe largement. Il est pathétique. Un frisson continu de l’orchestre l’accompagne ; mais, comme rarement il arrive en pareil cas, plutôt que de soutenir le chant, de lui servir de base, ou de basse, il le domine et pour ainsi dire le survole. Enfin voici l’éclat, ou l’éclair final et longtemps attendu. C’est une sorte de fanfare, cuivrée et stridente, à demi triomphale et funèbre encore à demi. Il est possible que cette brève apothéose rappelle un peu le thème principal des Préludes de Liszt et certains motifs wagnériens. Il est certain que pendant quelques instants, les derniers, elle dilate, elle illumine une musique partout ou presque partout ailleurs contrainte et ténébreuse.

« On ne devrait, » a dit Renan, « on ne devrait écrire que de ce qu’on aime. » L’auteur de la Lépreuse et du Sauteriot a l’amour du mystère, de l’émotion pénible, mais puissante, et de je ne sais quelle horreur sacrée. Pour M. Lazzari, le royaume des sons est un royaume sombre. Il est le musicien des épouvantements.

Mlles Raveau (Trine) et Brothier (Orti) ont tenu avec un talent insigne les deux rôles féminins, les seuls qui comptent. Elles ont même fait plus que les tenir : elle les ont élevés et grandis. On disait