Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/906

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et même, — étant donné la nature du sujet, — la plus douloureuse sympathie. Une chose était vraie de la Lépreuse et ne l’est pas moins du Sauteriot. Sur une histoire de maladie et de mort, le musicien a écrit une musique lugubre, mais solide, mais forte, fondée et construite un peu dans la manière et le goût d’un monument funéraire. S’il vous plaît d’en connaître d’abord la façon, ou la facture, nous commencerons par vous dire que cette musique est faite avec des « motifs conducteurs. » Le système ou le mécanisme a beau n’être plus très nouveau, bon nombre de musiciens ne paraissent pas encore près d’en abandonner l’usage. « C’est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau. » Ainsi le thème initial du Sauteriot nous dit tout de suite : « C’est moi qui suis la malade, voire la maladie, ou tout au moins c’est moi qui la représente. » Et tout à l’heure, un peu plus animé, ce thème figurera l’ægrotante, ranimée elle aussi, pour un moment, par la potion. Que dis-je, la potion même aura son motif et je croirais volontiers que certaine note, répétée régulièrement au sommet de l’orchestre, en compte les gouttes. Motif d’Orti ; motif du miracle ; motif (en forme de valse) de la fête du village et des amours d’Indrik et de Madda ; motif de la forêt (avec ses inévitables « murmures, ») et d’un autre amour, plus touchant, que pendant une heure elle abrite ; voilà le sommaire, ou le catalogue à peu près complet. M. Lazzari, cela va sans dire, en présente, en fait valoir, en symphoniste exercé, les articles divers. Par lui distribuées, amenées, ramenées, opposées, combinées, les courtes formules mélodiques vont, viennent et reviennent. Elles changent de ton et de mouvement, de rythme, de mode et de timbre ; elles passent d’un instrument ou d’un groupe d’instruments à un autre. Mécanisme, système, disions-nous plus haut. On finira peut-être par s’apercevoir que le leitmotif, — soit dit sans l’offenser ou le méconnaître seulement, — n’est, au fond, rien autre chose, et que, Wagner en ayant épuisé les ressources et les effets, les beautés et les ennuis, le jour est venu de s’en débarrasser, après s’en être trop servi. Nous souhaitons ardemment de voir ce jour.

Par la force des choses, l’application du leitmotif entraîne la prédominance de l’orchestre. Comme l’effet à la cause, celle-ci répond ou correspond à celle-là. M. Lazzari ne pouvait manquer la correspondance. Mais alors surgit l’inévitable et plus que toute autre difficile question du rapport entre les instruments, ou la symphonie, et les voix. Le fond et comme l’essence même du drame lyrique, ou de l’opéra, — le titre n’importe pas, — en dépend. Et jusqu’ici, le seul