Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/894

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’apparition de Satan dans la « théière anglaise. » Mais quelles furent les relations personnelles des deux poètes ? Baudelaire n’écrivit qu’une fois, avec beaucoup de retard, en réponse à l’article enthousiaste de Swinburne sur les Fleurs du mal. La lettre ne parvint jamais à son adresse. Elle fut retrouvée naguère, toute cachetée, sans que jamais Swinburne ait lu les remerciements émus du grand poète maudit, auquel il avait dédié, à la nouvelle de sa mort, la somptueuse élégie Ave atque Vale.

C’est que Swinburne, en effet, pas plus que Baudelaire, n’est un de ces écrivains qui se révèlent dans leurs lettres. Causeurs éblouissants, ils sont également paresseux pour écrire. Swinburne se plaint, en outre, d’une infirmité musculaire qui lui rendait pénible l’action physique de tenir une plume. Cela explique qu’on possède un si petit nombre de ses lettres. M. Edmund Gosse, avec l’aide de M. J. Wise, le célèbre collectionneur de manuscrits, en a réuni moins de deux cents pour un espace d’un demi-siècle, et encore la plupart ne sont que des billets insignifiants. On n’a pas retrouvé les lettres à Mazzini. Une seule lettre à Burne-Jones, une autre adressée à Ruskin, quelques mots à William Morris et à Michaël Rossetti, voilà tout ce qui subsiste de ses relations avec le fameux groupe des Préraphaélites.

Une lacune plus étrange encore, c’est l’absence presque complète, dans ces lettres de poète, de la note féminine. Nous n’avons pas les lettres du jeune homme à sa mère. Une seule femme, dans ces deux volumes, apparaît à demi et comme de profil, permettant par bonheur d’entrevoir un chapitre secret de la jeunesse du poète. Lady Pauline Trevelyan fut peut-être, à vrai dire, l’unique roman de sa vie. Quelle fut au juste la nature de son sentiment envers celle qu’il appelait son bon ange et sa « seconde mère ? » Voisine de campagne des Swinburne, mariée au savant géologue Trevelyan, et de quelques années plus âgée que le poète, elle avait pris sur cette âme ardente un pouvoir bienfaisant ; elle mourut jeune, trop tôt pour lui, et ce fut pour Swinburne une perte sensible. Les cinq ou six lettres qui nous restent de toutes celles qu’il lui adressa sont d’un enjouement délicat dans leur demi-sérieux mêlé de badinage. Avec infiniment de tact, elle savait ménager cet esprit violent ; elle donnait des conseils, qui n’étaient pas toujours suivis ; mais il subsistait de ce contact avec une femme