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indignations même qu’elles soulèveront toujours parmi quelques féministes en rébellion et quelques charlatans littéraires, les Femmes savantes restent, aux yeux de l’étranger, le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre de Molière. J’ai pu consulter les plus fervents moliéristes d’Europe : Allemands, Anglais, Autrichiens, Italiens, Roumains, Grecs (ces étrangers que M. Fabre se propose d’interroger à l’heure du tricentenaire), eh bien ! la plupart, — tout en me surprenant parfois par leur « incompréhension » de l’œuvre moliéresque, — mettent au premier rang les Femmes savantes. Les étrangers s’expriment à peu près tous sur le génie de Molière ainsi que le cordial critique du Times s’exprimait dernièrement, à propos de récents spectacles moliéresques donnés à Londres. Les étrangers n’approuvent pas cet esprit de sagesse étroite, qui finit par inspirer le goût immodéré de la satire, et qui porte le Français à se moquer de tout ; si bien que « nous semblons nous donner le ridicule de la poursuite excessive du ridicule. » Or, les Femmes savantes, grâce au personnage idéal (sic) de Clitandre, dans lequel on nous fait l’insigne et charmant honneur de voir un modèle français d’élégance de pensée, de tolérance aimable, de courtoisie non dénuée de franchise, de générosité familière, demeurent, je le répète, la pièce synthétiquement représentative de Molière.

Soyons fiers de cette préférence que nous devons à ce rôle si bellement français ; rôle qu’il faut bien se garder de « distribuer » à de petits amoureux sautillants ! Clitandre, tendancieusement qualifié d’« homme de cour, » est le contraire d’un « courtisan. » Clitandre, c’est l’« honnête homme » qui consent parfaitement à ce qu’une femme « ait des clartés de tout, » sans se laisser séduire par aucun sophisme ; c’est l’homme de cœur qui donne, sans phrases, « son peu de bien » aux amis en détresse ; c’est, en un mot, le type accompli de ce que devrait être le « représentant » de notre beau pays de France qu’illumine à jamais de ses clartés le bon sens de Molière.

Jules Truffier.