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Si la mode était encore aux petits questionnaires littéraires, et que l’on demandât : « De qui, dans quoi sont les vers suivants ? » il est à présumer que plus d’un amateur de théâtre se trouverait embarrassé d’attribuer source ou paternité à la gracieuse définition de l’expression, vraie ou affectée, des sentiments d’amour, qui s’épanouit dans le premier acte du Prince jaloux :


Un soupir, un regard, une simple rougeur,
Un silence est assez pour expliquer un cœur ;
Tout parle dans l’amour ; et sur cette matière
Le moindre jour doit être une grande lumière.
Puisque chez notre sexe, où l’honneur est puissant,
On ne montre jamais tout ce que l’on ressent,
J’ai voulu, je l’avoue, ajuster ma conduite,
Et voir d’un œil égal l’un et l’autre mérite ;
Mais que contre ses vœux on combat vainement,
Et que la différence est connue aisément
De toutes ces faveurs qu’on fait avec étude,
A celles où du cœur fait pencher l’habitude !
Dans les unes toujours on paraît se forcer ;
Mais les autres, hélas ! se font sans y penser,
Semblables à ces eaux si pures et si belles
Qui coulent sans effort des sources naturelles…


Plusieurs scènes de cette pièce sont belles, et je comprends que son échec indiscutable ait été rude à Molière nouvellement installé au Palais-Royal, qu’il pensait inaugurer par un succès. L’œuvre n’est pourtant pas inférieure à certaines comédies héroïques acclamées de Thomas Corneille, de Quinault, voire à la Veuve, de Pierre Corneille. La lecture est loin d’en être aussi rebutante que celle de beaucoup d’autres pièces du même temps, Ce qui ressort de plus clair, lorsqu’on juge documents en mains, c’est que l’insuffisance de l’interprétation de Molière et de ses camarades fut flagrante. Ce n’est point par injustice que le public refuse généralement aux acteurs comiques le don du pathétique et de l’éloquence, c’est par instinct ; l’acteur habitué aux périodes comiques, eussent-elles des prétentions lyriques, — Coquelin nous en a donné des exemples, — ne peut tendre