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romantique, se croit un libertin très sûr de soi et, quant à lui, gaspille en libertinage son romantisme qui serait le meilleur plaisir de sa vie. Pourtant, il l’aimait… Comme le héros des Amours perdues, il devrait battre ainsi sa coulpe : « Mon erreur, ç’a été de jouer : j’ai considéré la vie comme un jeu de l’intelligence, un spectacle auquel je ne me suis jamais donné complètement ! » Ces jeunes hommes ne se donnent pas complètement : et, en moins de mots, il ne se donnent pas. Ils accusent leur intelligence, qui est subtile et ingénieuse, de les rendre les prisonniers d’eux-mêmes. Ils ont raison de chercher une jolie excuse, qui leur embellit leur chagrin ; mais ce n’est pas leur intelligence qui leur ôte la générosité du cœur : c’est l’égoïsme Or, n’allons pas considérer que l’égoïsme soit une récente invention de l’âme humaine et comme le dernier cri du mal de vivre. Ce qui est plus récent, c’est la facilité avec laquelle les jeunes hommes de M. Edmond Jaloux prennent leur parti de leurs défauts, de leurs péchés, et remplacent volontiers le remords par un sentiment qui a beaucoup d’analogie avec la fatuité.

Ils ont de la bonté aussi et sont capables de sacrifice, mais de grand sacrifice, et d’une sorte d’héroïsme quelquefois plutôt que d’une abnégation modeste et quotidienne. Ils ne pratiquent pas les vertus communes, qui sont les principales. Ce qui leur manque, c’est la simplicité du cœur.

Ils sont jolis et intéressants. M. Edmond Jaloux les a peints avec une amitié gracieuse, et avec une clairvoyance de moraliste, et avec un art qui fait de lui l’un de nos écrivains les plus délicieux. Il les a placés dans les aventures les plus variées ; et, dès qu’il le veut, leur élégie devient un drame. Il leur invente des âmes et des anecdotes. « Je suis contente que la vie puisse être encore si romanesque ! » dit l’une de ses jeunes femmes. Les romanciers qui analysent les sentiments et, en particulier, le sentiment de l’amour ont en général un savant dédain pour les péripéties romanesques : M. Edmond Jaloux, qui a de l’imagination, de la fantaisie, le goût des péripéties pathétiques, et qui se connaît en gaieté, compose des romans où, comme on dit, il se passe beaucoup de choses ; il y a du rire et des larmes, il y a du sang répandu.

Et je disais que les personnages de ses romans avaient une philosophie, avaient plusieurs philosophies. Mieux vaut dire qu’une intelligente et poétique rêverie les accompagne et, par leurs soins, est la parure de leur concupiscence quasi perpétuelle. L’amant de la dangereuse Monique des Amours perdues s’adresse à lui-même :