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conversations brutales… » Cher Boniface ; et comme on le comprend !… Il y a aussi le jeune Hupaïs, un hurluberlu, qui ne craignit pas de se galvauder dans la magistrature et devint procureur de la République. Hupaïs et Boniface de Peyroncel ne sont que des figurants épars dans l’exquise comédie d’amour que M. Edmond Jaloux a ordonnée et dont les héros terribles-el charmants méprisent toute activité de magistrat, de facteur ou de cocher, tout ce vain divertissement, pour ne songer qu’aux affaires sérieuses, l’amour et ses tribulations décevantes, l’amour et ses déceptions ravissantes.

Ils ressemblent aux personnages de Watteau. Cependant, cet Edouard du Puzet, qui regarde avec une mélancolie heureuse les estampes de Watteau, avoue qu’elles sont « ce qui le séduit et l’émeut le plus au monde ; » mais il ajoute : « Ces petits bonshommes semblent ignorer la profondeur, la misère tragique que l’amour a pour nous. Ils en distraient un moment leur âme ennuyée et frivole sans lui demander l’impossible… Que leur importe, à ces passagers nonchalants, à ces finîmes éprises de l’amour que Cythère n’existe pas, si le moindre jardin, par ses musiques sourdes et ses fleurs amoncelées, leur en donne l’illusion, si une main serrée, une confidence, quelques aveux leur causent cette volupté qu’ils recherchent, si leur vie est un enchantement à demi poétique et à demi sensuel, où le désir se suffit à lui-même et où le caprice ne change-rail pas son éphémère plaisir pour une éternité de passion ! » Bref, si j’en crois Edouard du Puget, j’avais tort de comparer aux personnages de Watteau la jeunesse nouvelle où M. Edmond Jaloux a choisi les héros de ses romans pareils à des fêtes galantes : ce n’est plus, aujourd’hui, la même idée de l’amour.

Et ne dites pas que c’est le même et identique amour néanmoins : ce n’est rien dire. Que l’amour soit toujours le même, au bout du compte, les savants et les philosophes le démontrent sans peine ; ils ont des arguments, le plus souvent disgracieux, pour établir que les complications sentimentales sont les déguisements d’une fougue élémentaire : et l’on connaît leur dialectique. Mais l’artifice est de séparer l’amour et l’idée de l’amour. Les évolutionnistes racontent qu’il a fallu des siècles par dizaines ou par centaines, — les évolutionnistes ne regardent pas à la durée, qui ne leur coule rien, — pour transformer eu un sentiment délicat le désir printanier. C’est possible : et l’on ne réfuterait pas les évolutionnistes sans leur emprunter leur manière catégorique et rudement arbitraire. En tout cas, l’amour est devenu, depuis longtemps, l’un de nos sentiments les plus