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Encore vivante ! La veuve du cordonnier Simon ! Le témoin le mieux instruit des péripéties de la tragédie du Temple ! Une telle découverte était d’importance… Elle ne produisit pourtant, dans l’entourage de la famille royale, aucune sensation, par la raison bien simple que, depuis longtemps, elle y était connue et prudemment dissimulée.

Peu de jours après son arrivée à Paris, la Duchesse d’Angoulême avait, en effet, entrepris de visiter tous les hôpitaux et établissements de charité de la capitale ; le mardi 13 décembre 1814, à une heure de l’après-midi, accompagnée du comte de Pastoret et du vicomte de Montmorency, membres du Conseil général des hospices, elle se présenta aux Incurables de la rue de Sèvres. L’Ami de la Religion et du Roi rend compte de cette visite ; ces mêmes religieuses dont on a résumé plus haut les déclarations s’accordèrent à témoigner que, à l’annonce de l’arrivée de Madame, suivant « des ordres donnés, » on enferma la femme Simon dans une pièce retirée appelée le Capharnaüm, et on ne la délivra qu’après le départ de la princesse. La Simon « était dans une grande colère. » — « Quel malheur ! criait-elle, j’avais un grand secret à lui communiquer ! » Le procédé se justifie pleinement : c’eût été une inconvenance d’exposer la fille de Louis XVI à une si émouvante rencontre ; mais, quelque temps après, la Duchesse revint aux Incurables, sans être annoncée, dans une toilette très simple, afin de conserver l’incognito. Elle s’approcha de la Simon, engagea avec elle la conversation et écoula, comme tant d’autres, les confidences de l’ancienne gardienne de son frère. Celle-ci, on le pense bien, ne se priva pas de parler, attestant que son Charles était venu la voir « en 1802. » Madame, dissimulant son émotion, se montrait incrédule : « Depuis la Tour du Temple jusqu’en 1802, dit-elle, il y a du temps ! Comment auriez-vous pu le reconnaître ? — Madame, riposta ta mère Simon, je vous reconnais bien malgré votre déguisement, quoique je ne vous ai pas vue depuis bien plus longtemps… Vous êtes Madame Marie-Thérèse… » La Duchesse d’Angoulême tourna les talons et disparut. L’anecdote présente tous les caractères de l’apocryphe, et on devrait la taxer de fantaisie, si l’on n’avait la déclaration « officiellement recueillie » de la femme Simon elle-même, assurant avoir reçu aux Incurables la visite de Madame, et si l’on n’avait encore le témoignage du