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femme Françoise Desprez, paysanne vendéenne qui, au temps de la « grande guerre, » servait de commissionnaire entre les différents chefs de l’insurrection : elle avait été chargée de missions importantes par Charette, Scepeaux, Frotté et d’autres qui l’avaient souvent envoyée à Paris. Elle s’y était fixée depuis le retour des Bourbons et y vivait, à l’hôtel des Trois Maillets, rue Montorgueil, d’une pension que lui avait accordée le Roi en récompense de ses services. Or la vieille chouanne racontait à qui voulait l’entendre que, à l’un de ses voyages à Paris, en juin 1795, l’un des chefs royalistes, lui avait assigné rendez-vous « au coin d’une rue peu éloignée du Temple ; » elle avait trouvé là une voiture dans laquelle on la fit monter et, peu après, « on lui amena le Dauphin qu’elle habilla aussitôt en fille et qu’elle conduisit jusqu’à Fontenai, où elle le remit à Charette… » cette version est un peu trop conforme à celle du roman Le Cimetière de la Madeleine, pour qu’il soit permis de la prendre, sans contrôle possible, au sérieux ; ce qui étonne, c’est le ton de sincérité dont la bonne femme contait l’aventure ; elle impressionnait jusqu’aux policiers chargés de lui imposer silence. La Vendéenne, malgré les menaces, entreprit le voyage de Rouen, y fut suivie par la police de Decazes, se mit, cependant, en rapport avec les initiés, mais ne parvint pas, croit-on, à entrer en communication avec le prétendant. On perquisitionna à son domicile et elle fut expédiée loin de la ville sous une surveillance rigoureuse. Ces bévues de l’autorité produisaient un effet absolument contraire au résultat escompté, et, en relatant ces maladresses, un adversaire résolu de la thèse de l’évasion écrivait : — « Louis XVIII croyait-il donc possible que le royal rejeton eût été arraché de sa prison ? Ce qui est certain, c’est qu’il agit comme s’il l’eût cru. »


Débarrassé de la femme Desprez, Decazes se heurta à un obstacle bien plus redoutable. Dès le 7 juin 1816, un agent secret soumettait à Son Excellence « l’idée de voir à l’hôpital des Petites maisons, s’il existe encore la femme de l’infâme Simon… Cette femme allait sans cesse au Temple ; elle était à même de tout voir et de tout entendre. » L’agent se trompait sur un point : la femme Simon, étant veuve, n’avait jamais pu être pensionnaire des Petites Maisons, établissement réservé aux vieux ménages ; elle était depuis vingt ans hospitalisée aux