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comprit qu’il était temps de répondre : on commença donc les recherches. Dès les premières informations, le problème se révéla insoluble : on interrogea Voisin, l’ordonnateur de 1795 ; on l’amena de Bicêtre où il vivait retiré, et il indiqua, dans l’enclos du cimetière, la place d’une fosse spéciale creusée par lui-même et où il assurait avoir déposé le cercueil du Dauphin, cercueil qu’il avait marqué, « à la tête et au pied d’un D tracé au charbon. » Après Voisin comparait Bureau, concierge du cimetière depuis vingt-huit ans : et celui-ci atteste qu’aucune fosse spéciale n’a été creusée et que la bière du Dauphin a été placée, à son rang, dans la fosse commune. Dusser, l’ancien commissaire de police de la section du Temple qui a présidé à l’enterrement, convoqué à son tour, affirme que « la jeune et intéressante victime » a été inhumée dans une fosse séparée et que « les mesures les plus sévères furent proposées contre lui, Dusser, pour n’avoir pas su dissimuler, en cette circonstance, ses sentiments royalistes. » Le ton de flagornerie de tous ces ci-devant Brutus est écœurant de platitude : ils s’avisent, depuis le retour des Bourbons, que « le petit Capot » n’avait point mérité son sort, et c’est à qui aura, en parlant de lui, le plus de larmes dans les yeux !

Dusser entendu, on recherche Bétrancourt, le fossoyeur : on apprend qu’il est mort ; mais sa veuve vit toujours et sa déposition est intéressante : elle raconte que, le 11 juin 1795, de bon matin, comme elle étendait son linge dans le cimetière, son homme, travaillant à « la tranchée, » — la fosse commune, — l’appela et l’invita à descendre dans le trou. Quand elle s’y fut glissée, Bétrancourt, « enfonçant sa pelle en plusieurs endroits, » lui fit constater que « dessous il n’y avait plus rien. » La femme se plaignant qu’il l’eût dérangée pour si peu, il dit : — « Ah bien ! tu n’es guère curieuse… tu ne demandes pas seulement ce qu’elle est devenue, cette bière ? » Là-dessus il protesta qu’elle ne serait jamais qu’une bête et, comme elle s’était remise à étendre sa lessive, elle le vit de loin « continuer à se croiser les bras, appuyé sur sa pelle comme quelqu’un qui pense. » Peu après cependant il lui confia qu’il avait retiré de la « tranchée, » dans la nuit même qui suivit l’enterrement, le cercueil du Dauphin et l’avait enfoui « dans une fosse creusée contre les fondations de l’église sous la [porte du transept gauche. »