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mari à la couronne de France : on l’a même affublée du sobriquet de duchesse Caïn : c’est là grossier procédé de roman-feuilleton ; l’étude d’un si délicat problème réclamait plus de subtilité et de ménagement. Nulle psychologie ne demeure plus impénétrable que celle de l’orpheline du Temple et les heurts de sa vie expliquent la raideur et l’apparente dureté de son caractère. À celle qui, dès l’âge de raison, après l’enfance la plus heureuse et la plus adulée, fut astreinte à des attitudes ; qui a vécu entourée de geôliers hostiles, a subi, dans la solitude effarée, l’âge périlleux de la transformation, qui n’a connu que deuils, contraintes, mystères, haines, rebuffades et mensonges, à celle-là il est permis de n’être pas « comme les autres » et de cuirasser d’irréductibles méfiances son cœur qui n’a pas fleuri.

Du sort de son frère, que savait, personnellement, Madame Royale ? Rien que ce qu’elle écrit dans son Journal du Temple : le jour du départ de Simon, elle crut que le Dauphin avait quitté la Tour, et sa conviction se fortifia du silence qui, depuis lors, régna au second étage de la prison. Durant dix-sept mois, elle n’entendit plus parler du petit prince ; même quand la présence de Laurent de Gomin et de Lasne eut adouci sa captivité, on ne répondit que par des échappatoires à ses questions vite découragées. Il paraît invraisemblable que, dans les journées du 8 au 10 juin 1795, elle ne perçût aucun des mouvements insolites occasionnés dans la Tour sonore par la mort et par l’autopsie de l’enfant captif, par les défilés de militaires admis à « reconnaître » le cadavre, par la visite des Conventionnels, qui, on l’a remarqué, s’abstinrent, contre l’habitude, de monter jusqu’à chez elle ; on s’étonne qu’elle ne devinât rien aux mines bouleversées : de Gomin[1] et de Lasne, bien adroits comédiens pour ne rien laisser paraître de leurs anxiétés et de la douleur que, — plus tard, — ils prétendirent avoir éprouvée.

Comment n’eut-elle aucun soupçon de la vérité quand, le

  1. On ne comprend pas, en lisant le touchant récit de Beauchesne, comment Gomin, s’isolant pour pleurer l’enfant royal qu’il aimait tant, n’ait pas éclaté en sanglots lorsqu’il parut, le jour de la mort, le jour de l’autopsie, le jour des obsèques, devant Marie-Thérèse à qui il ne pouvait rien dire de tout ce qui se passait à l’étage inférieur. S’il évita, durant ces trois jours, de monter jusqu’à l’appartement de la prisonnière, comment cette abstention insolite n’éveilla-t-elle point les inquiétudes de la princesse ? S’il osa la visiter, trois fois par jour, comme à l’ordinaire, comment ne lut-elle pas l’angoisse et la tristesse sur le visage de son gardien si attentionné ?