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Cette suppression opportune rendit quelque sang-froid au gouvernement et à la justice : le comte Decazes se montrait, en effet, singulièrement hésitant et timide à l’égard du prétendu Dauphin ; son plus ardent désir était que l’affaire « ne s’ébruitât point : » il ne cessait de recommander la prudence, les ménagements et insinuait au préfet que, en interdisant toute communication entre Charles de Navarre et ses fidèles, « il ne fallait pas mettre trop d’affectation et d’appareil. » Quant aux magistrats, depuis quinze mois que durait le scandale de Bicêtre, ils restaient absolument inertes, attendant du hasard l’occasion, soit de sévir contre le pensionnaire de Libois, soit de crier : Vive le Roi ! sur son passage. C’est à peine si, en ces quinze mois, à force de commissions rogatoires et d’enquêtes auprès des parquets voisins, ils étaient parvenus à découvrir l’état civil de l’imposteur : à vrai dire, la police y avait mis tant de zèle qu’elle réussit à trouver, pour M. Charles, non pas un, mais deux noms. D’abord, il fut établi qu’il était Charles-Mthurin Phelippeaux, né en 1788, à Varenne-sous-Monsoreau, en Maine-et-Loire, où sa mère vivait encore et tenait une boulangerie annexée à une petite auberge.

On fit venir à Rouen la femme Phelippeaux ; elle déposa, toute en larmes, que Charles étant descendu à son hôtellerie au mois de septembre 181o, elle avait bien cru reconnaître en lui son fils, parti comme conscrit en 1807. Mais, tout de même, elle n’en était pas sûre : son Charles, a elle, n’avait pas le nez aquilin comme le Charles de la prison, et elle ne retrouvait pas sur le pied de celui-ci la trace d’une blessure grave que son garçon avait reçue vers l’âge de dix ans ; au demeurant, elle demeurait perplexe, et, malgré les objurgations du juge d’instruction Verdière, elle ne se montra pas plus affirmative. Il fallut bien se contenter de cette fragile reconnaissance, et, faute de mieux, Charles de Navarre devint officiellement Phelippeaux. Mais un jour de l’été de 1817, le hasard, — un hasard bien malicieux, — amène à Rouen la vicomtesse de Turpin de Crissé, celle-là même qui, en 1795, avait charitablement hébergé à son château d’Angrie le pseudo-neveu de M. de Vesins. M. de la Paumelière, — le capitaine de la garde royale dont on a cité le nom, — étant allé la saluer, dans la soirée, à l’hôtel. — lui parle, — par hasard encore, — de Charles Phelippeaux et des commentaires suscités par sa longue