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s’écarter des formes connues depuis longtemps et intelligibles, sans cesser d’éveiller la sensation directe et immédiate, qui est proprement la sensation esthétique.

La même chose s’observe dans la grande décoration en plein-cintre, que M. Maurice Denis a peinte pour la chapelle du Souvenir de l’église de Gagny. Cette pieuse allégorie de la bataille de la Marne, bien composée, parfaitement équilibrée, ressemble à ces manuels d’histoire, où l’on prétend faire tenir, en une page, la substance de tout un volume. D’un côté, Jeanne d’Arc, la sainte qui combat, guide les poilus à l’éclair de son épée nue. De l’autre, sainte Geneviève, la sainte qui protège, couvre de son voile les femmes, les enfants, les vieillards, tapis derrière un pan de mur écroulé. Au centre, au-dessus des croix du cimetière, un ange gigantesque, aux ailes tricolores, se dresse de toute sa hauteur, vers le ciel, soulevant et comme pour y porter le cadavre d’un pauvre petit soldat. Et, au loin, le ruban déroulé de la rivière fameuse et les éclatements des obus précisent le lieu et le temps de cette allégorie.

Mais l’ensemble est froid, parce que l’artiste n’a vraisemblablement pas choisi tous ces éléments hétéroclites pour leur beauté plastique et pittoresque, comme il eût fait une autre composition. Il les a réunis volontairement, laborieusement, comme des signes destinés à raconter une histoire et à exprimer des sentiments. Et, alors, il s’est heurté aux obstacles qui guettent toute allégorie religieuse. Il en a surajouté encore, en faisant intervenir une figure surnaturelle, — un ange. Les ailes de l’ange perdent toute signification, dans le monde moderne. Les avions rendent inutile et surérogatoire désormais cette parure aviatrice. Le geste de soulever vers le ciel, le ciel physique, le corps du héros, n’est plus un geste significatif, lorsque dans ce ciel, bien au-dessus de lui, à plusieurs lieues dans l’espace et dans l’ether passent les vols des mécaniques et les mortelles trajectoires des obus. Le surnaturel, pour nous toucher désormais, devrait aller chercher ses formes en dehors de la nature, et comme on ne saurait en trouver une seule qui ne soit fournie par la nature, il ne devrait pas se formuler du tout. Ce n’est point en coloriant, aux couleurs nationales, les ailes de l’ange, qu’on a quelque chance de le rendre, ni plus vraisemblable, ni plus divin, ni plus beau. Sans doute, les anges des anciennes peintures déployaient souvent des rémiges diaprées ; ils se paraient même