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« Comme un pasteur inspecte son troupeau, lorsqu’il est au milieu de ses brebis éparses, ainsi moi, l’Éternel, je ferai la revue de mes brebis.

Je les ferai paître dans de bons pâturages, et leur parc sera dans les hautes montagnes d’Israël.

Je les comblerai de bénédictions, elles et les environs de mon coteau. Elles ne seront plus la proie des nations. Les bêtes de la terre ne les dévoreront plus ; elles demeureront en sécurité, sans que personne les épouvante

O profonde douceur du Royaume de Dieu !


III — LE SPECTRE DE L’HETMAN

Il est cinq heures du soir. La prière de min’ha, qu’on dit un peu avant le coucher du soleil, est finie, et celle de marew, que l’on récite au crépuscule, n’est pas encore commencée. Or, pour être bien assuré que les deux prières seront dites l’une avant, l’autre après la fin du jour, l’usage est d’avancer l’une et de retarder un peu l’autre, si bien qu’entre elles s’écoule une bonne heure que l’on passe à la synagogue à causer de ses affaires, dans l’air encore tout bruissant des cris de la prière, où s’exhale agréablement l’odeur des pipes que l’on vient d’allumer.

C’est l’heure préférée d’Israël. Les pipes enveloppent toutes choses de leur acre fumée. Dans l’atmosphère lourde et opaque, toute chargée d’odeurs juives, les esprits se font plus subtils, les mains font remuer leurs innombrables doigts, les langues vont leur train, les discussions et les affaires mûrissent comme des fruits au soleil. Dans les grandes cages de bois suspendues au plafond, brillent les bougies allumées. La cire qui fond goutte à goutte se répand sur les bavards, tout à fait indifférents à cette pluie de taches qui, en tombant sur eux, ne fait que couvrir d’autres taches. Près de la porte, l’eau qui suinte du tonneau aux ablutions forme un vaste marécage. A tout moment, des gens sortent pour satisfaire un besoin de nature, puis rentrent, plongent rapidement leur main dans la barrique, expédient du bout des lèvres la bénédiction d’usage : « Sois loué, Roi de l’Univers, qui as diversifié les organes et conserves toute créature par des merveilles continuelles… » et de nouveau avec délices retournent se perdre dans cette foire de Paradis…