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Il était une heure du matin quand ses hôtes quittèrent son logis. A cette heure, on ne courait plus le risque de donner l’éveil aux soldats par quelque parole imprudente. Tout dormait dans la cour. Aux fenêtres du bethamidrash brillaient seulement quelques lumières. Le Hazën et ses compagnons poussèrent la porte entrebâillée. A la lueur de leur bougie, plantée dans une brique trouée, quatre ou cinq Juifs lisaient les Psaumes ou le Livre de la Splendeur. Ils furent les premiers avertis. Et Dieu leur devait bien cela, en récompense de leur pieuse veillée !

Alors, dans la grand’rue, sous la lune brillante, le petit groupe des Juifs noctambules, allant de maison en maison, frappait du poing à chaque porte. Brusquement réveillés, les dormeurs demandaient avec effroi qui heurtait à cette heure tardive, et les cœurs n’étaient pas encore si rassurés que l’image de quelque péril ne se présentât aussitôt. Mais au travers de la porte une voix joyeuse répondait : « Reb Amram, ou Reb Aaron, dites vite la bénédiction de celui qui apprend une heureuse nouvelle. Les chiens partent demain, à six heures ! » Et aussitôt les portes s’entr’ouvraient, et de joyeux « Salem Aleïchem, » « Que la paix soit avec vous ! » s’échangeaient sur les seuils, comme au grand soir de Pâques, quand après le festin rituel les convives prennent congé les uns des autres dans la nuit, en se jetant la parole de la plus belle espérance : « L’an prochain, à Jérusalem ! ».


Vers quatre heures du matin, le Rabbin Miraculeux était plongé dans sa prière : « Je me confesse, moi, Seigneur, devant toi… » ou plutôt dans l’extase où le jetaient ces deux mots affrontés : — Moi, ce rien, ce vers de terre. Toi, la toute-puissance infinie, le Créateur de tous les Univers ; — et sa fine tête d’oiseau écrasée sous les ailes de son vaste chapeau s’égarait dans ce vertige, lorsqu’il entendit, dans la cour, plus de tapage encore qu’il n’était accoutumé.

Alors, au fond de son esprit perdu dans la supputation de l’immensité divine, revint le souvenir que, la veille, son fils l’avait en effet averti que les Cosaques quitteraient, ce matin même, à six heures, la sainte Communauté. Mais à cette minute, que lui importaient les Cosaques ? De quel poids était