Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus reluisants. Mais chacun sait que le travail n’est qu’une malédiction imposée par l’Éternel après le péché d’Adam ; et le commencement de la sagesse c’est de se soustraire, n’est-il pas vrai, à une malédiction quelle qu’elle soit. Aussi le casquettier, le fourreur, le cordonnier, en un mot tous les artisans de la Communauté sainte, s’arrangent-ils pour travailler juste de quoi fournir au marché du jeudi ce qui est nécessaire aux paysans chrétiens d’alentour. Et mon Dieu] avec deux ou trois heures de travail quotidien ils arrivent à satisfaire tous les besoins d’une existence qui, on l’a vu, est modeste.

Là-bas, si vous avez besoin d’une paire de bottes ou d’un caftan, il vous faudra d’abord passer deux fois, trois fois, quelquefois quatre, chez Schmoul le cordonnier ou Mardochaï le tailleur, avant de le trouver chez lui, car à Schwarzé Témé le temps compte pour rien. (C’est même la seule chose que Dieu a donnée à ses Juifs avec libéralité ! ) Schmoul est à la synagogue, Mardochaï au belhamidrasçh, ou bien au bain rituel, ou bien il se promène dans l’enclos du Rabbin, ou bien il est chez Rabbi Jehuda, qui rachète aujourd’hui son premier né au Seigneur, n’importe où, mais pas chez lui. Après tant de visites, et lorsque vous avez réussi à mettre la main sur votre homme, il vous faudra attendre qu’il ait découvert le Juif qui lui fournira le cuir de vos bottes ou l’étoffe de votre caftan, et surtout qu’il attaque sa besogne, et n’en soit pas aussitôt arraché par quelqu’une de ces fêtes religieuses qui durent des jours et des semaines. Et au bout de deux ou trois mois, vous aurez le triste bonheur de posséder enfin des bottes, mille et mille fois moins agréables que celles que vous venez de quitter, un caftan qui vous gêne aux entournures ; bref, vous trouverez au bout du compte que tailleur et cordonnier n’ont été que trop rapides, et vous maudirez leur diligence.

Et pourquoi, je vous le demande, Schmoul perdrait-il sa journée à taper sur du cuir, quand il peut, rien qu’en lisant le Livre de la Splendeur, influer sur la marche des mondes ! quand chacune de ses prières renforce les colonnes de sainteté qui soutiennent le trône de Dieu ! quand chacun de ses balancements crée un Ange de lumière, et que de chaque mot d’adoration qui s’exhale de ses lèvres les Séraphins font des couronnes pour la joie de l’Eternel ! Sans compter qu’une fois la prière achevée, ou bien pour fêter la lecture d’un chapitre du