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lui témoigne, lui confie qu’il souhaite voir la frégate prise par les Anglais : « Mon sort serait assuré, » murmure-t-il. En dépit de ce vœu peu patriotique, comme la Cybèle est attaquée quelques jours plus tard par une corvette ennemie, Hervagault se distingue et se bat si valeureusement que le capitaine, — un Italien nommé Christiano, — dit hautement : « Ce jeune homme a mérité dix fois pour une la croix de la Légion d’honneur ; mais je ne saurais la demander pour lui sans me compromettre. » Robert s’étonne de ce propos, et apprend que, « d’après les ordres formels du gouvernement, Hervagault doit être fusillé si le bâtiment est menacé d’être pris par les Anglais. »

L’officier de santé, très surpris de cette confidence, se l’expliqua quand, dans le courant d’avril 1809, le bataillon étant débarqué aux Sables-d’Olonne, Hervagault révéla à Robert son origine royale : « Si je vous avais fait cet aveu plus tôt, ajouta-t-il, vous auriez pu-croire que je voulais vous intéresser à mon sort ; aujourd’hui, votre protection ne m’est plus nécessaire et vous ne devez pas douter que je vous dis la vérité. » Lorsqu’on fut à terre, Hervagault offrit à Robert un diner « splendide » et visita avec lui quelques châteaux de la côte dont les habitants lui prodiguaient « les témoignages du plus profond respect. » Puis il s’enfonça dans l’intérieur de la Vendée et le chirurgien retourna à son dépôt. Afin de conserver le souvenir de « ces événements extraordinaires, » il rédigea un journal où ils étaient consignés avec la plus grande précision.

On perd ici la trace d’Hervagault. À l’en croire, il déserte, emprunte de l’argent, vient à Paris, se cache durant quinze jours chez une dame Deservinanges, anciennement attachée à la maison du comte d’Artois, puis chez sa prétendue sœur, la demoiselle Hervagault, rue de la Porte-Montmartre, no 40. Il va à Strasbourg, passe le Rhin dans l’intention d’aller à Vienne ; mais les mouvements de l’armée française le forcent à rétrograder ; il se fixe à Versailles chez une comtesse de Béthune, qui meurt durant son séjour ; il se décide à passer en Angleterre, on l’arrête à Rouen où un document signale son passage : c’est une lettre du préfet de la Seine-Inférieure devant lequel il comparait. Il est sans argent, on ne trouve sur lui qu’une montre en or valant quatre ou cinq louis, un chapelet et un petit volume portant pour titre : Histoire de Notre-Dame de Liesse. À son cou est attachée par