Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/446

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

précieux portrait : « D’une figure intéressante, mais efféminée, il est d’une complexion délicate ; il paraît la devoir à sa longue détention et à l’usage du vin et des liqueurs fortes. Son caractère est irascible et emporté ; il a de l’esprit naturel, mais aucune éducation ; il sait à peine lire et écrire. Tout son système consiste à traiter tout ce qui l’environne avec dédain, à recevoir avec une sorte de mépris ce que lui offre la sottise et à affecter la générosité… » Mais pour ceux qui sont pénétrés de l’émouvante légende, quoi d’étonnant à ce que l’élève de Simon n’ait pas plus d’instruction que son « Mentor, » qu’il aime le vin ; quoi d’étonnant à ce que le petit Dauphin, jadis espiègle et volontaire, soit devenu un homme « emporté et irascible ? »

Il suffit qu’on puisse supposer seulement que ce pauvre hère dégradé est l’enfant de nos rois pour qu’on lui pardonne tout ; les griefs les plus autorisés tournent, pour les croyants, en sa faveur : c’est pourquoi on le voit peu à l’exercice et encore moins aux corvées ; il ne paraît pas non plus à la caserne : logé « dans une maison particulière, » il se promène à cheval, « habillé en bourgeois et suivi d’une ordonnance attachée à son service. Il reçoit du continent des lettres, de l’argent, des bijoux, « des bonbons, » et trouve crédit ouvert dans toutes les boutiques de la petite ville du Palais, où ses dettes se montent bientôt à 2 500 francs. Un jour, chevauchant dans son île, devenue presque son royaume, il rencontre le curé de Sauzon, l’abbé Cavadec ; il le hèle, lui demande s’il ne connaîtrait pas quelqu’un de confiance qu’on puisse emmener à Paris où on serait bien reçu. Et, devant l’air ébahi de l’ecclésiastique : « Ne savez-vous pas qui je suis ? » dit-il. Le curé s’empressa de prendre le large, n’ayant pas envie de se compromettre « et d’être enfoui pour le reste de ses jours dans les cachots du château de Ham, comme trois ou quatre autres prêtres. » Telle était la réputation d’HervagauIt, qu’il est promu « danger d’État ; » il semble que toute l’administration de l’Empire est liguée contre lui. En novembre 1808, le bataillon colonial s’embarque à Lorient sur la Cybèle ; l’un des officiers du bord est un jeune chirurgien de vingt-deux ans, nommé Robert ; il est appelé à donner des soins au soldat Hervagault en qui « il découvre des qualités estimables ; » quelques relations s’établissent entre les deux jeunes gens, qui sont à peu près du même âge, si bien qu’Hervagault, touché des égards que Robert