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remis aux gendarmes de la Seine… Fouché n’est plus ministre ! Depuis trois jours le ministère de la police est supprimé, et Hervagault, dont on ne sait que faire, est conduit à Bicêtre, le grand réceptacle de tous les crimes, de toutes les misères et de toutes les dépravations.

Et c’est pourtant à l’époque où il s’enfonçait dans cette géhenne que Hervagault fut au plus près du triomphe suprême… Il n’est pas téméraire de prendre au sérieux une allégation de son premier historiographe, Beauchamp, dont les sources d’information ne sont point méprisables puisque ce personnage, attaché aux bureaux de la police générale depuis le temps du Comité de Sûreté générale jusqu’en 1806, dut satisfaire sa curiosité d’historien en puisant dans les dossiers dont son emploi lui permettait la libre consultation[1]. Or il prétend que Fouché aurait proposé à Bonaparte de tirer parti du faux Dauphin de Vitry-sur-Marne en le reconnaissant solennellement comme fils de Louis XVI et en obtenant ensuite de lui, soit par terreur, soit par séduction, la renonciation de ses droits au trône. « Mais, ajoute-t-il, Bonaparte rejeta ce moyen d’usurpation indigne de sa haute fortune et, dès lors, Hervagault fut voué à la prison et au malheur. » L’infortuné lutta pourtant ; réduit à l’impitoyable régime de Bicêtre, se croyant abandonné de tous ses partisans, il essaya « de vaincre l’inaptitude qui l’avait jusqu’alors rendu rebelle à l’étude ; » il s’appliqua, lut avec fruit ; on assure même qu’il parvint à traduire les auteurs latins et se plaisait à la lecture d’Horace et de Tacite… comme l’avait fait Louis XVI au Temple.

Cependant ses fidèles remuent le monde et dépensent l’argent sans compter. Toute la famille Jacquier a quitté Vitry pour s’installer à Nancy ; on tente de grouper là des prosélytes ; on affirme que le fils de Louis XVI existe ; que ses deux oncles, le comte de Provence et le comte d’Artois, malgré leur répugnance, mais « forcés par les Cours étrangères, » l’ont solennellement reconnu par un acte authentique. Un manifeste est imprimé qui bientôt va paraître ; c’est pour en prévenir l’effet que les princes ont tenté de faire assassiner Bonaparte par Georges Cadoudal ; mais le Dauphin s’est opposé à ce crime : n’est-ce pas

  1. Il est facile de constater que Beauchamp a eu communication, non seulement des dossiers de Vitry et de Reims, mais aussi des pièces composant aujourd’hui le dossier d’Hervagault aux Archives nationales.