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se manifestât. Il pouvait surtout arguer de son âge, — seize ans, en 1801, au lieu de vingt qu’aurait eu le véritable Hervagault, et nul, sur ce point, ne l’aurait contredit ; car, en cet été de Vitry, sa physionomie était encore si « enfantine » que, lorsque le jeune garçon parcourait les rues de la ville, escorté de M. Jacobé de Rambécourt, respectueux et plein d’égards envers son gentil compagnon, les passants prenaient celui-ci pour « une demoiselle déguisée, » et la réputation de l’austère gentilhomme en subit même quelque atteinte.


Ici se révèle un personnage inattendu, le citoyen Charles Lafont-Savine, ci-devant évêque de Viviers. Issu d’une famille de vieille noblesse, il avait été mal élevé par sa mère, une Castellane, « femme ardente, spirituelle et frivole, » qui recommandait la lecture de l’Émile et du Contrat social à cet enfant de sa prédilection, destiné cependant à l’Église. D’abord grand vicaire à l’évêché de Mende, puis à Laon, Lafont de Savine avait été, à trente-six ans, en 1778, sacré évêque de Viviers : « il unissait à des connaissances étendues, une mémoire étonnante, le don des langues et de la parole et un esprit très lucide, » lorsqu’il ne se portait pas sur les objets de ses successifs engouements.

Son palais épiscopal, planté au bord du Rhône, était l’un des plus beaux de France : il en avait peuplé les jardins de roitelets et de rossignols ; sa meute était renommée ; son faste mondain rivalisait avec celui des Rohan et des Dillon. Est-ce pour ne pas quitter ce bien-être que, élu en 1789 député aux États généraux, Mgr de Savine démissionna au bout de dix jours, et que, plus tard, il fut l’un des quatre prélats français qui se soumirent à la Constitution civile du clergé ? Il prêta le serment dans la chaire de sa cathédrale et, maintenu, par conséquent, dans son diocèse, il cumula ses fonctions d’évêque constitutionnel avec celles d’administrateur du département. Alors commencèrent les excentricités : quittant la soutane pour l’habit de garde national, organisant dans son palais des bals patriotiques, permettant à ses prêtres le mariage, il usait en même temps, il faut le dire, de l’influence de sa popularité pour soustraire aux fureurs démagogiques nombre d’ecclésiastiques insermentés. Il donna libre cours à ses rêveries