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grand pantalon à la hongroise, et il est chaussé de sabots. Peut-être a-t-il l’intention d’atteindre la Vendée, car il gagne d’abord Laval ; mais la difficulté de pénétrer dans ces régions de l’Ouest, très surveillées, le décide à prendre le chemin d’Alençon ; parvenu là, sans ressources, il frappe à la porte d’une dame Talon de Lacombe, qui habite seule une propriété aux Joncherets, distante de la ville d’une demi-lieue. Il se présente sous le nom de Montmorency ; il se rend, dit-il, à Dreux où se trouve le château de sa famille, dispersée par la Révolution ; il est épuisé de fatigue, il n’a plus un écu ; Mme de Lacombe, prise de pitié, l’héberge, l’invite à séjourner chez elle jusqu’au jour où il aura recouvré ses forces ; elle lui fournit du linge, des vêtements, de l’argent, le traite en hôte de distinction, et Jean-Marie tient le rôle avec une aisance et un aplomb des plus convaincants ; tous les soirs, au foyer de sa généreuse hôtesse, entouré des châtelains du voisinage qu’attire la présence de cet héritier d’un des plus beaux noms de France, il raconte avec une émouvante minutie de détails les infortunes de sa noble famille. Ses manières sont distinguées, son ton si sincère, sa physionomie si séduisante, il glisse si généreusement, dans la main du palefrenier qui lui selle son cheval ou du domestique qui le sert à table, un des louis d’or donnés par la bonne dame, que nul ne doute de son illustre origine. Mme de Lacombe, le voyant rétabli, veut le conduire elle-même jusqu’au château familial et le remettre à ses parents ; il ne s’y oppose point, arrive à Dreux avec sa bienfaitrice, cherche, s’informe, enquête. Nul ne le renseigne : on n’y connaît le nom de Montmorency que par le souvenir du connétable, tué en 1562 dans une bataille fameuse, et Mme de Lacombe, comprenant qu’elle a été dupée, abandonne son protégé et reprend tristement le chemin d’Alençon, « regrettant la perte d’une quarantaine de louis d’or que le prétendu Montmorency a obtenus de sa trop facile bonté. »

Hervagault continua son voyage : il traversa Paris sans que son passage y fût remarqué ; on le retrouve à Meaux dans la première quinzaine de mai ; sans argent, car il n’est pas thésauriseur, il erre par les rues de la ville à la recherche d’une âme charitable, et il la trouve en la personne d’une marchande, la mère la Ravine, qui installe sa boutique sur le champ de foire. La bonne mine du jeune vagabond, le joli