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Saint-James, au diocèse d’Avranches, il était venu se fixer à Saint-Lô après son mariage avec une très jolie fille, Nicole Bigot, épousée, disait-on, plus encore par intérêt que par goût. Nicole Bigot[1] n’était pas originaire de la Normandie ; issue de paysans francs-comtois, elle avait été, dit-on, amenée dans le Bessin par le jeune duc de Valentinois, fils du seigneur de Torigny, qui l’avait connue à Versailles où elle aurait été dentellière. D’après une tradition longtemps accréditée dans la contrée, ce gentilhomme, soucieux de faire un sort à sa maîtresse, menacée d’une maternité indésirée, l’avait mariée à René Hervagault, l’un des nombreux serviteurs de Torigny, lequel, ayant servi aux gardes françaises sous le sobriquet de La Jeunesse, dédaignait les préjugés communs aux paysans arriérés de sa province. Son consentement empressé sauva, d’ailleurs, les apparences ; on célébra le mariage à Paris, dans l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, le 24 février 1781 : l’enfant fut inscrit au baptême, à Saint-Lô, sous les prénoms de Jean-Marie, le 20 septembre de la même année, délai minimum,

  1. Comme on le pense bien ce nom de Bigot qui figure à l’acte de décès de l’enfant du Temple et qu’on retrouve dans la famille du premier des « faux dauphins », a suscité nombre d’hypothèses. La plus généralement répandue est que le père Hervagault avait cédé, pour une bonne somme d’argent, ce fils qu’il n’aimait pas, et pour cause. Le petit Hervagault aurait remplacé le Dauphin au Temple ; et le petit prince serait venu prendre au foyer des Hervagault la place de son substitué. Mais Nicole Bigot n’ayant pas consenti à livrer son fils sans que quelqu’un de ses proches ne veillât sur lui, avait demandé à l’un de ses parents, habitant Paris, — Rémy Bigot, — de ne point perdre de vue son enfant : ainsi s’expliquerait l’ingérence, injustifiée en apparence, de ce Rémy Bigot qui paraît pour la première fois au Temple en janvier 1794 ; il amenait alors à la prison son neveu en remplacement du prince royal ; on retrouve Rémy Bigot au moment du décès et il se déclare ami du défunt : c’est qu’il est placé là afin de pouvoir attester plus tard que l’enfant qui vient de mourir est le petit Hervagault, inhumé sous le nom du fils Capet… Ces suppositions sont ingénieuses, mais un examen approfondi oblige à les repousser : — Nicole Bigot, fille de André Bigot, petite-fille de Claude-François Bigot, tous paysans de Colombier, Haute-Saône, ne paraît avoir aucun lien de parenté avec Rèmy Bigot, fils de Pierre-Florent Bigot, petit-fils de René Bigot, parisiens de père en fils. Elle n’était à coup sûr, ni sa sœur, ni sa nièce, ni sa cousine issue de germains. Tout ce qui semble établir un très vague et très lointain rapport entre ces deux ramilles Bigot, ce sont les prénoms de Pierre Florent sous lesquels est désigné le père de Rémy, et qui sont presque semblables à ceux d’un oncle de Nicole appelé Pierre Laurent. Encore pour trouver là l’indication de quelque parrainage, faudrait-il admettre une erreur de rédaction, assez fréquente, il est vrai, au XVIIIe siècle, dans le libellé des actes. On voit aussi que le mariage de René Hervagault avec Nicole Bigot, qui ne sont, l’un ni l’autre, habitants de Paris, a lieu pourtant à Saint-Germain-l’Auxerrois ; et c’est également à cette paroisse que s’est marié, trois ans auparavant, Rémy Bigot. Coïncidences, de pur hasard peut-être.