Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mystérieuse maison où l’on ne voit personne qu’une aveugle au visage dévoué, tout de tendresse, de passion maternelle, dont ces voix fantômes sont l’unique et quotidienne réalité. Mais surtout il faut connaître la nouvelle qui précède la poésie. Elle est de 1911. Elle met en scène de jeunes élèves officiers, dont nous avons connu les pères dans les premiers contes anglo-indiens de l’auteur, — et qui nous rendent les gestes de ces pères. L’histoire, d’une verve folle, n’est que de farces, joyeuses brimades, mystifications. Quelles fusées de rires de ces grands garçons ! Vitalité débordante, où l’on sent la profondeur et la pureté de la source ; tumultueuse jeunesse qui veut se dépenser, comme de poulains détalant à l’aurore sur un pré mouillé de rosée. Lequel d’entre eux a jamais pressenti la souffrance, la mort, imaginé son destin ? Après cette jaillissante, innocente gaité, entendez le deuil et l’accusation en ces strophes que j’extrais du poème, écrites, ajoutées, cinq ans et demi plus tard, quand la nouvelle parut en volume :


… Ceux-là furent nos enfants, — qui moururent pour notre terre ; ils étaient chers à nos yeux. — Nous n’avons plus que le souvenir, trésor de la maison, de leurs propos et de leurs rires. — C’est à nos mains, non pas à celles d’un autre, que sera payé le tribut de notre deuil : — ni l’étranger ni le prêtre n’en décideront. Cela, c’est notre droit. — Mais qui nous rendra les enfants ?

A l’heure où le Barbare a choisi de se démasquer, et a fait rage contre l’Homme, — sur leurs poitrines qu’ils découvraient pour nous, ils ont reçu — le premier coup félon de l’épée si soigneusement aiguisée pour notre perle. — Leurs corps furent toute notre défense, tandis que nous construisions nos défenses.

Par leur sang, ils nous ont rachetés, s’abstenant de nous blâmer — pour ces heures que nous avions gaspillées quand le châtiment tomba sur nous. — Ils nous ont crus, et ils sont morts de nous avoir crus. — Notre politique, tout notre savoir, n’ont abouti qu’à les remettre liés au brasier, vivants dans les flammes, — où joyeusement ils se hâtaient, comme se bousculant pour l’honneur. — Jamais la terre n’a vu telle noblesse répandue sur sa face.

Mais leur agonie ne fut pas brève, et ce n’est pas une seule passion qu’ils ont soufferte ; — les blessés, les épuisés de la guerre, les malades ne recevaient pas de grâce : — guéris, ils retournaient et enduraient, et achevaient notre rédemption, — n’espérant point pour eux-mêmes de répit, — tant qu’enfin la mort étonnée se referma sur eux.