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drame que l’auteur nous a fait vivre ; ou plutôt, c’est comme l’émoi d’un rêve où les événements de la veille se transfigurent en images nouvelles et chargées de plus de sens. En somme, le romancier, ayant traité son thème, le passe au poète qui ne le transpose pas, mais en tire une autre œuvre. Je ne sais rien d’analogue en littérature. Bien entendu, pour sentir tout l’effet, il faudrait commencer par lire la nouvelle, — par exemple celle qui s’intitule Une Affaire de Coton, C’est l’histoire d’un tout jeune fonctionnaire colonial, chef d’un poste perdu de l’Afrique équatoriale, qui entreprend d’introduire le cotonnier dans son district. L’homme est seul de son espèce, avec une petite troupe de noirs et un serviteur indien, — seul à ce point qu’il en vient à réciter tout haut des vers à des arbres. Alentour sont des mangeurs d’hommes, des chasseurs d’esclaves ; constamment il faut négocier, guerroyer. Cependant, il ne pense qu’à son idée de coton, impossible, faute d’argent et de main-d’œuvre, à réaliser ; et dans la fièvre qui le prend, elle grandit, tourne à l’obsession. Par une étrange aventure, il a sauvé un Arabe, un négrier blessé dont la tête est à prix, et qu’il ne reconnaît pas ; il l’a soigné chez lui, gagné son cœur. Tandis qu’il est dans le délire, celui-ci use de ses prestiges auprès d’une tribu de cannibales, et en tire les hommes de corvée et l’argent qu’il faut pour commencer la culture. La première partie de l’histoire est dite par le héros lui-même, en congé de convalescence en Angleterre. Il a vingt ans, il est fils du Strickland des contes ; il parle devant ses parents, devant des amis, dont l’un fut autrefois « le Bébé » de la « Conférence des trois Puissances. » Il parle exactement comme, vingt-cinq ans auparavant, les personnages de cette conférence, en argot humoristique, à demi-mot, et seulement pour répondre à des amis qui l’assaillent de questions, car, d’une génération à l’autre, c’est la même âme qui revient. Quand il a fini, sa mère qui l’écoutait, les yeux brillants, l’emmène prendre sa quinine et se coucher. Il faut une grande attention au lecteur, entraîné par le courant du récit, pour saisir au passage les petits détails où le romancier a mis le sens auquel il tient le plus, ceux qui disent le dévouement enthousiaste et secret de l’homme à sa tâche. Le poète reprend l’idée, la combine à une autre matière, plus générale, plus diffuse, et ainsi transmuée, sous ce titre ; La Chevalerie Nouvelle, la voici qui se dégage :