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même excès du désespoir à la confiance, et à mêler d’une façon indiscrète l’Eternel à leurs affaires, ce qu’on avait vu aujourd’hui s’expliquait le plus simplement du monde. Une fois de plus, la main de Dieu s’étendait sur Schwarzé Témé, une fois de plus, la sainteté du Rabbin Miraculeux produisait ses fruits bienfaisants ! Comme autrefois le Seigneur avait substitué un chevreau à l’innocent Isaac sous le couteau d’Abraham, de même, dans sa miséricorde, Dieu remplaçait aujourd’hui l’holocauste de ses Juifs par un massacre de chiens ! Et joyeusement ils versaient leurs kopeks entre les mains des bourreaux, comme si, en acquittant leur dette, ils eussent payé le prix du sang et le rachat de leurs vies…


Dans la soirée, Reb Naftali et quelques autres notables se réunirent chez Reb Mosché pour préparer la réception des Cosaques.

Le Comte avait fait dire qu’il hébergerait les officiers et cinquante soldats. Restait une centaine d’hommes à la charge de la Communauté sainte. Seule, la cour du Zadik pouvait contenir une troupe si nombreuse. Et dans la cour, il n’y avait que deux bâtisses où l’on pût mettre autant d’hommes et de chevaux. L’une était la sainte souka, vaste salle, au toit mobile, que le Rabbin Miraculeux, sa famille et ses hôtes innombrables, habitaient au moment de la Fête des Tentes, durant cette semaine où la Loi ordonne de vivre, de dormir et de manger en un lieu découvert, qui permette de voir au-dessus de sa tête le ciel et ses étoiles. L’autre bâtisse était une maison anciennement construire pour le fils aîné du Rabbin, où l’on hébergeait à présent, dans les jours d’affluence, les pèlerins qui ne trouvaient plus de place ni dans la synagogue, ni dans le bethamidrasch, ni chez les particuliers. Cette maison, avec son corridor et ses chambres, n’offrait aucune commodité pour loger des chevaux, tandis que la sainte souka avec ses larges portes, son grand espace vide, se prêtait admirablement à servir d’écurie. Mais comment se résoudre à faire une écurie de la sainte souka !… Autour des samovars fumants, tous les pieux personnages se regardaient en silence, mesurant à ce premier embarras les difficultés de toutes sortes qu’allait faire naître, à chaque instant, l’irruption de cent païens au milieu des chères vieilles habitudes. Le Grand Usurier lui-même qui, dans sa joie