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« Avant la naissance du monde, j’occupais la pensée de l’Eternel. Deux mille ans avant la création, il me regardait avec amour…

« Il m’avait formée de pureté, il m’avait pétrie de lumière. Il se plaisait à mes caresses, il faisait de moi ses délices.

« Je suivais la trace de ses pas, je me reposais à son ombre, je languissais après lui. Je fus couronnée reine avant l’origine des temps.

« Dieu qui trône sur les chérubins demanda mon avis quand il voulut faire briller le soleil, former la lune et les étoiles, faire pousser les herbes et les plantes, donner la vie aux poissons, aux oiseaux, aux insectes, aux animaux sauvages et domestiques, à tout être qui perpétue son espèce.

« Il s’inspira de mes conseils alors qu’il formait dans sa main le chef-d’œuvre de ses créatures, celui qui, malgré sa faiblesse, est presque l’égal des Anges… »

Et la Thora, poursuivant sa légende, continue de raconter comment les hommes par le péché d’Adam se rendirent longtemps indignes de la recevoir parmi eux ; et comment les générations et les générations passèrent, tandis qu’elle restait toujours prisonnière des demeures célestes, cachée dans la pensée divine ; et comment le jour vint où l’Eternel voulut la donner à Noé qu’il avait sauvé du Déluge, mais Noé s’enivra, et pendant vingt générations aucun Juste n’apparut. Alors vint Abraham, et le Seigneur s’écria : « Voici le temps de dispenser à mes Juifs cette Loi qui fait mes délices ! » Mais le doute effleura l’esprit du Patriarche, et durant encore cinq cents ans la Fiancée Couronnée continua de mener sa vie secrète dans les demeures inconnues du ciel. Vint Jacob, à la foi inébranlable et qui méritait bien d’entrer en possession de l’ineffable trésor. Mais dans une année de famine, s’étant rendu chez les païens, il perdit le bonheur de recevoir la loi divine. Enfin parut le jour où, prenant en pitié la misère de son peuple, l’Eternel convoqua Moïse sur la haute montagne fumante. Des myriades d’Anges l’accompagnaient en chantant ses louanges, les tonnerres mutaient, des éclairs brillaient et illuminaient le monde, d’épais nuages couvraient la montagne dont les rochers ébranlés s’affaissèrent, la corne de bélier retentit, la foudre déracina les cèdres, la voix de l’Eternel fit trembler le désert. Et dans son temple majestueux, Il proclama la Thora !