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lui avait dit tout à coup qu’il partait pour Paris ou pour New-York. Quant aux autres personnages qui se trouvaient à ce moment dans la chambre, ils se mirent à vociférer, les uns pour approuver ces paroles, les autres pour y contredire.

— Y songez-vous, Reb Mosché ? s’écriait le vénérable Hazen. Appeler à notre aide les petits-fils du cruel Hetman, les descendants de Chmelnicki, les massacreurs des ancêtres ? Est-ce là une pensée raisonnable ? Allons-nous remplacer un danger par un autre et mettre les loups au bercail ?

Mais le Grand Usurier qui se voyait déjà aux mains des massacreurs, agitait son index dans un geste de dénégation et commençait un discours.

— Réfléchissez, Reb Isaac ! Vous savez aussi bien que moi que le Seigneur nous interdit comme un péché mortel de nous exposer au danger. Le Talmud dit expressément que manger une chose impure n’est pas une faute plus grave que de courir au-devant d’un péril. Et même, pendant le Kippour, la Loi nous autorise à rompre le grand jeune plutôt que d’affronter la mort.

Il s’arrêta un instant, afin de mesurer l’effet de ses paroles. Et comme le Hazën ouvrait la bouche pour lui répondre :

— Pardon ! continua-t-il aussitôt. Pourquoi, vénérable Hazën, justement l’année dernière, avez-vous fait venir un docteur de Smiara pour soigner vos rhumatismes ? Et pourquoi, dans le cas de maladie, agissons-nous tous de la sorte ? Nous savons bien pourtant que toute guérison vient de Dieu et qu’il n’y a de soulagement à nos maux que celui qu’il nous envoie par l’Ange de la Guérison. Cependant, encore une fois, nous faisons venir le médecin. Et nous serions mille et mille fois coupables de ne pas le faire venir, car agir différemment serait porter un défi à l’Ange de la Mort, et l’Ange de la Mort ne veut pas être bravé ! Tout ceci nous prouve, Reb Isaac, que les docteurs de la Loi donnent raison à Reb Mosché. Quand même il en viendrait cent mille de ces chiens de Cosaques, pour défendre notre Communauté sainte, ils seraient bien incapables à eux seuls de nous protéger de la mort. Mais l’Ange du Salut les accompagnera. Et comment l’Ange viendrait-il si nous n’appelions pas les Cosaques ?

A cet argument plein de force, Reb Mosché ajouta que, grâce au ciel, les Cosaques d’aujourd’hui n’étaient plus ce