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nouvelles que rapportait le messager envoyé, le matin même, à Smiara. Chacun tirait impatiemment sa montre, avec l’espoir que le Zadik donnerait le signal du départ. Mais le Zadik n’entendait pas que la fête de Reb Simon ben Jocchaï fût abrégée seulement d’une seconde ; et suivant son habitude, ce n’est qu’à trois heures et demie qu’il commanda son landau.

La voiture était déjà prête. Son fils aîné, son secrétaire, le Délégué à la mairie et trois de ses petits-enfants y prirent place avec lui. De nouveau les chevaux rapides s’emportèrent dans la prairie. Bientôt ils arrivaient à la hauteur d’un bois, où les fidèles qui, au départ, n’avaient pu trouver place dans aucun des véhicules, s’étaient arrêtés pour festoyer ; et l’attelage toujours lancé ventre à terre faisait s’éparpiller dans les blés, avec une frayeur comique, les grasses Juives qui soulevaient à deux mains leurs lourdes robes de velours, les enfants armés de leurs arcs, et des groupes de Juifs qui, dans leurs tristes souquenilles, semblaient revenir d’un enterrement.

Le messager de Smiara venait juste d’arriver quand la voiture fit son entrée dans l’enclos du Rabbin Miraculeux. Sans paraître seulement l’avoir vu, le Zadik regagna sa chambre, comme si les flèches que son bras venait de lancer tout à l’heure aux quatre points cardinaux, avaient suffi à conjurer tout péril. Reb Mosché, moins confiant peut-être dans la protection divine, s’était arrêté sur le seuil ; et le secrétaire du Zadik prenant des mains du messager la lettre que lui adressait le Rabbin de Smiara, en fit la lecture à haute voix :

« Béni soit Dieu !

« Le deux cent quarante et unième jour de la cinq mille six cent quarante et unième année de la Création du monde, dans la sainte Communauté de Smiara.

« Au pieux serviteur, secrétaire du saint Rabbin renommé, faiseur de miracles, fils des saints, dont le nom est connu dans l’univers, etc. etc. Abraham lankélé, que Dieu le garde en fie jusqu’à cent vingt ans !

« Obéissant promptement aux ordres du saint Rabbin, j’éprouve l’immense douleur de vous informer que le bruit qui vous a été rapporté est malheureusement trop exact, et même que ces dévastations et massacres continuent en ce moment de plus belle à Élizabethgrad et dans les villes d’alentour, et menacent de s’étendre jusqu’à nous. Des gens sans feu ni lieu,