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bataille de cent trente-cinq Jours, où, malgré ses précautions pour garder l’anonymat, se trahissait l’écrivain habitué aux synthèses ?

L’écrivain qu’exaltaient les visions vécues entendait cependant avoir ses coudées plus franches. Il obtint licence de publier ces Derniers jours du fort de Vaux dont on peut dire sans outrance que cette poignante chronique fit, pour la première fois, saisir tout le caractère de cette prodigieuse bataille de Verdun. Et après ce chant d’épopée, c’en fut un autre. Quand, les soldats de Pétain ayant tenu, les soldats de Nivelle reprirent, Henry Bordeaux qui, de Souville, avait suivi toutes les péripéties de l’assaut donné, le 24 octobre, aux massifs de Douaumont et de Vaux, ainsi qu’il avait immortalisé la résistance, immortalisa la victoire. Les Captifs délivrés forment la seconde partie de ce prestigieux diptyque, au front duquel il était autorisé à inscrire ce titre apparentant ces deux « chants » à nos grandes épopées : La Chanson de Vaux-Douaumont.

Nous rencontrions parfois aux armées d’excellents camarades qui ne comprenaient pas grand’chose à notre mission. À quoi pouvait servir toute cette encre dépensée ? Je leur conterai simplement ceci. Dans les premiers jours de 1917, à travers la Belgique encagée, emmurée, coupée de la France, une brochure jaune circulait sous le manteau, une brochure imprimée en médiocres caractères sur un mauvais papier, et cette brochure mettait aux cœurs des opprimés la joie qui réveille l’espérance et fortifie la foi. De courageux patriotes avaient pu se procurer, — par quel miracle ? — les Derniers jours du fort de Vaux et avaient transformé le volume en tract. Je doute que M. Henry Bordeaux, la Société des Gens de lettres ni le Syndicat de la Propriété intellectuelle poursuivent jamais les contrefacteurs. « Je voyais bien, écrira l’un d’eux en 1919, le réconfort que ces magnifiques exemples de bravoure et d’endurance apporteraient à la population du pays occupé. » J’ai eu entre les mains un exemplaire de la brochure ; il était presque en lambeaux. Les Allemands avaient saisi 1500 exemplaires ; on s’arrachait les brochures échappées à cette rafle. Ils savaient bien ce qu’ils faisaient, écrit un Belge, quand « leur police, durant plus de deux mois, surmenait ses bataillons d’assaut pour prendre, elle aussi, le Fort de Vaux. » La vue de cette brochure fatiguée émeut. Il est