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SILHOUETTES CONTEMPORAINES

IV[1]


M. HENRY BORDEAUX






Je le regardais monter devant moi ; sa robuste carrure remplissait la vareuse horizon aux quatre galons ; encore que la colline fût modeste, la pente était raide et le chemin médiocre. Et j’admirais la fermeté aisée de son pas.

Nous venions de cheminer une heure côte à côte, tirant des événements tragiques qu’en ce printemps de 1918 nous vivions ensemble, nombre d’idées générales, — par quoi se reconnaissent deux bons Français. Et une fois de plus, j’avais constaté que, pour raisonner sur la grande crise nationale, le commandant Bordeaux n’avait qu’à transporter à un plan supérieur les idées que développe, depuis vingt ans, le romancier de la famille. Rien ne l’amenait à se déjuger, mais tout à s’élargir. Aussi s’était-il, à son ordinaire, exprimé avec cette autorité où se reconnaît une pensée mûrie et chaque jour confirmée. Et maintenant, engagé dans le chemin montant, il avait pris la tête et guidait la marche.

Il marchait sans hâte et, en apparence, sans effort. Les jambes, très fortes dans les molletières de cuir fauve, vraies jambes de montagnard musclées et solides, le portaient sans précipitation, mais assez rapidement vers le sommet : le pied se posait, comme d’instinct, sur la pierre plate qui, dans la fange du

  1. Voyez la Revue des 15 janvier, 15 mars et 15 avril.