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munitions dans une proportion qui dépasse extraordinairement les chiffres permis. Ces manquements à la parole donnée ont pour conséquence une lourde aggravation des charges des Alliés, en particulier de la France, obligée de conserver sur pied des forces d’autant plus nombreuses qu’elle ignore celles qu’elle a en face d’elle, de l’autre côté du Rhin.

Quant à prétendre que le traité pousse à la revanche, « nous ne voyons pas qu’un seul des 440 articles du 28 juin 1919 justifie cette accusation. C’est le contraire de la vérité. La préoccupation dominante des rédacteurs de l’acte a été d’éviter le retour des guerres et par conséquent d’étouffer dans l’œuf, pour ainsi dire, l’esprit qui pourrait les provoquer. Y a-t-il rien dans leur œuvre de semblable aux stipulations du traité de Francfort de 1871 ? Alors ce furent 2 millions d’hommes arrachés contre leur volonté formelle à leur patrie ; ce fut l’extorsion d’une indemnité de 5 milliards, qui dépassait trois ou quatre fois les frais de la guerre. Quant aux dommages matériels, il n’y en avait point eu d’infligés à l’Allemagne, puisque toute la campagne, cette fois-là aussi, avait eu la France pour théâtre. En 1919, on consulte les populations des territoires contestés. On ne réclame pas un centime pour les frais de guerre, qui se sont élevés à des centaines de milliards ; tout ce qu’on demande, c’est la réparation de dommages, dont les plus graves sont irréparables : car ni l’or ni le charbon que l’Allemagne s’est engagée à livrer ne rendront la vie aux centaines de milliers de civils morts à la suite des tortures qui leur furent infligées et de militaires qui n’ont pas survécu ou ne survivront pas aux horreurs des camps d’internement et de représailles.

Enfin M. Keynes semble critiquer, plus que toutes les autres, les dispositions du traité qui « transportent des charges financières intolérables des épaules des vainqueurs sur celles des vaincus. » Admettrait-il par hasard que ces derniers fussent mieux traités que nous, et conteste-t-il l’équité d’une solution qui, sans rien exiger qui ressemble à une contribution de guerre, oblige les Allemands à réparer les dommages qu’ils ont causés ? Faudrait-il que la France reconstruisit à ses frais ses villes détruites, ses usines rasées, remit on étal ses houillères anéanties ? Cette restauration du no man’s land, du pays innomé, incombe-t-elle ou non à la puissance qui l’a rendue nécessaire ? et ne supportera-t-elle pas plus facilement la charge que