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droit éternel; nous aurons assisté à la destruction de nos plus vieux monuments historiques, au bombardement de nos cathédrales, à l’incendie de Verdun, de Reims, de Soissons, de Montdidier, de Lens, de Cambrai et de cent autres de nos villes; nous aurons eu nos champs bouleversés et rendus incultes, nos forêts dévastées, nos maisons réduites en poussière; nous aurons dû recueillir, dans les régions que l’ennemi n’avait pas envahies, des centaines et des centaines de mille de réfugiés, condamnés à vivre de longues années en exil, loin de leur pays natal; et douloureusement exposés à ne plus même retrouver, au jour incertain de leur retour, les pierres de leur foyer; nous aurons été soutenus, dans ces effroyables épreuves, par la confiance en la victoire et par l’espoir de réparations légitimes; nous aurons considéré comme acceptable pour la France un traité où les avantages positifs de certains de nos alliés l’emportaient de beaucoup sur les nôtres; nous aurons eu foi en la signature de toutes les puissances qui avaient donné leur adhésion à ce traité et qui nous avaient promis d’en assurer avec nous l’exécution régulière ; et puis, à la première résistance des Allemands, au premier prétexte imaginé par eux pour se dérober à leurs engagements, à leur première comédie d’impuissance, on viendra nous dire : « Il y a maldonne. Recommençons. Révisons. Faisons un traité moins dur pour l’Allemagne et soyons, d’accord pour reconnaître que la France ayant été la nation la plus éprouvée, c’est à elle de faire des concessions. » Quelque puisse être le résultat final de ces tentatives trop souvent renouvelées, elles laisseront dans l’esprit et dans le cœur de la France une assez pénible impression.

Ce qui a encore accentué le caractère dramatique des conversations de San Remo, c’est qu’elles ont été entrecoupées d’intermèdes orientaux, où les intérêts de la France, depuis longtemps épiés, ont été assez vivement assaillis. Un jour, nous avions à protéger les droits de nos régions sinistrées; le lendemain, nous avions à sauvegarder notre influence traditionnelle dans le Levant. Par suite d’une série de circonstances qu’il serait trop long de rappeler aujourd’hui, mais sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir, notre situation s’est complètement gâtée à Constantinople et en Asie-Mineure. Dans un pays où rien ne compte que le prestige de la force, nous avons peu à peu compromis notre autorité par nos hésitations et par la mobilité de notre politique. En Syrie, Feyçal, qui s’est proclamé roi à notre barbe, cherche à nous pousser insensiblement dehors, en exploitant les maladroites concessions que nous lui avons faites, à la demande