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rôle de Caïphe et celui de Judas[1]. » Pour élever Jeanne jusque sur les autels, les mains de ce cardinal étaient expertes.

Vingt-deux archevêques, cent soixante-treize évêques, dix chapitres, sur tous les points de l’univers, se tournaient vers Rome, mendiant pour Jeanne un peu de gloire. Deux de ces requérants s’appelaient Manning et Newman. Le vœu de Dupanloup était exaucé ; Freppel encore vivant pouvait se réjouir. L’Angleterre parlait, l’Angleterre insistait. Manning écrivait :


Bien que descendant de ceux qui ont injustement condamné et cruellement fait mourir la Pucelle d’Orléans, je suis heureux, moi, indigne métropolitain d’Angleterre, de joindre mes instances à celles des évêques de France pour demander au Saint-Siège l’inscription de la servante de Dieu, Jeanne, au catalogue des saints. Je vois très clairement que Dieu a choisi cette pieuse fille et l’a remplie de sagesse et de force pour délivrer la nation française de la domination des Anglais.


Et Newman, de son côté, déclarait :


Partout on admire le choix fait de cette humble fille par la divine Providence pour sauver la nation française. Je demande à Votre Sainteté de vouloir bien signer, pour le bien de la société, l’intérêt de la religion, la consolation et la gloire de la France, l’introduction de cette cause…[2]


Le 27 janvier 1894, sur l’ordre de Léon XIII, la Congrégation des Rites tint une séance extraordinaire, sur laquelle, pour l’instant, le plus strict secret devait être gardé. Il y avait chez tous les cardinaux, déclarait en sortant de la séance le cardinal Langénieux, « complète dilatation de l’âme. » Parocchi fit décider, d’acclamation, que le Pape serait prié d’introduire la cause ; et ce jour-là même, de son nom de famille : Joachim Pecci, Léon XIII signait le décret. Jeanne était désormais vénérable. Trois mots du Pape témoignaient que ce n’était là qu’une station pour cette gloire en marche… « Jeanne est nôtre, disait-il, Johanna nostra est[3]. »

  1. Guillerrain, Choix de panégyriques en l’honneur de Jeanne d’Arc, p. 293-307 Paris, 1895.
  2. Billecocq, Les Anglais et Jeanne d’Arc (Revue de l’archiconfrérie de Notre-Dame de Compassion, 1909).
  3. Cochard, La cause de Jeanne d’Arc. Orléans, 1894. — Mgr Touchet, Du bûcher à l’autel : lettre pastorale (Orléans, 1909).