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l’opinion britannique, en 1796, par l’épopée de Robert Southey, en 1818 par quelques pages d’Henry Hallam, on avait pu constater encore, en 1819, que l’historien catholique John Lingard parlait de la Pucelle avec beaucoup de mauvaise humeur[1].. Il n’y avait plus de voix, cependant, pour s’élever en faveur du juge Cauchon, si ce n’est celle de Jeanne, — oui, de Jeanne, qui, dans l’œuvre admirable publiée en 1847 par Thomas de Quincey, demandait à Dieu, elle-même, pitié pour son bourreau[2]. Mais avec le vicaire apostolique Gillis, le remords de l’Angleterre s’exprimait dans la chaire :


Un Anglais, ce me semble, doit admettre dans tout son brillant ce phénomène de vos chroniques, ou n’y voir que ténèbres. Pour lui, on ne la divise pas, la Pucelle. Eh bien ! j’aime ici à le proclamer ; je crois à Jeanne d’Arc ; je ne puis voir en elle autre chose qu’une envoyée de Dieu ; et je viens, de parmi ceux qui la brûlèrent, inscrire au temple de sa mémoire, non une apologie de ses vertus, mais l’aveu du crime de nos pères, et comme déposer au pied de sa sainte image l’offrande bien tardive d’une réparation de justice.


Un an plus tard, en 1859, un prédicateur du clergé parisien, l’abbé Chevojon, succédait à l’orateur anglais dans la chaire d’Orléans ; il réclamait, lui, de la chaire anglaise, cette même amende honorable que le vicaire apostolique Gillis était venu apporter en français :


Dans sa cathédrale de Westminster ou dans toute autre, l’Angleterre ne fera-t-elle pas entendre un cri de repentir national ? Rome alors, Rome, la mère de toutes les nations, qui peut condescendre jusqu’à retarder ici-bas le couronnement d’un de ses élus dans l’intérêt de la paix et de la soumission de ses enfants, Rome sera délivrée d’un de ses scrupules de mère ; elle pourra parler librement, et la civilisation catholique sera vengée de la plus sanglante injure.


L’abbé Freppel, alors professeur à la Sorbonne, esquissait en 1860 un pas de plus ; il semblait solliciter de l’Angleterre qu’elle prit l’initiative, elle, de faire canoniser Jeanne.


Peut-être, dans ce monde moderne où tant de choses se préparent sous le voile qui nous dérobe la vue de l’avenir, Dieu se plaira-t-il à glorifier sa douce servante par cette couronne terrestre que l’Église réserve pour l’héroïsme de la-vertu. Peut-être

  1. Thurston, Études, 20 avril 1909, p. 184-205.
  2. Voir, dans la Revue du 15 février 1893, l’article de M. de Contades.