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commentaire, et ce commentaire était une préface pour les futures exaltations.

Le premier de ces discours de mai dont nous possédions le texte date de 1672 : M. Henri Stein qui l’a retrouvé, l’attribue, pour des raisons excellentes, au P. Senault, le célèbre prédicateur de l’Oratoire, un instant supérieur des Oratoriens d’Orléans. Senault, avant de prononcer son discours, avait eu sous les yeux le Martyrologe gallican, dans lequel, en 1637, André du Saussay mentionnait le martyre de Jeanne, et l’Histoire de l’Église d’Orléans, écrite en 1646 par Symphorien Guyon, dans laquelle « la Bienheureuse Jeanne d’Arc, Pucelle d’Orléans, » figurait parmi les saints personnages du diocèse. Parallèlement aux gestes de Moïse, libérateur d’Israël, Senault déroula les gestes de Jeanne, libératrice de la France. Il s’enthousiasmait pour cette « divine fille, qui a été le prodige de son siècle, qui est encore l’admiration de tous les peuples qui lisent nos histoires. » Et deux cent vingt-huit ans avant l’acte de Benoît XV, Senault adressait aux Orléanais cet appel :


Proclamons-la mille fois bienheureuse, adressons-lui nos prières, invoquons-la dans nos besoins. L’Église, qui permet que son nom soit écrit dans les martyrologes et qui veut bien que l’on appelle sa mort un véritable martyre, martyrium Joannae puelae (c’est ainsi que cette mort est marquée dans le martyrologe de France), l’Église qui par son oracle a justifié la mémoire de Jeanne d’Arc, et qui a reconnu sa foi, sa pureté, son innocence, ce qui certes est une canonisation bien solennelle, l’Église, dis-je, qui honore ainsi l’admirable Pucelle d’Orléans, entend que nous la réclamions comme une sainte[1].


L’âge des philosophes survint : Orléans, défiant leurs sourires, persistait, à chaque printemps, à parler de Jeanne à la France. Il n’était pas toujours inutile de rappeler qu’elle avait existé, puisque l’on voyait un historien comme Boulainvilliers, consacrant cent pages au règne de Charles VII, s’abstenir d’y

  1. Henri Stein, Panégyrique de Jeanne d’Arc prononcé le 8 mai 1672, p. 23. Orléans, 1887. — Le P. Ayroles, op. cit. V, p. 570-571, ramène à leur exacte portée certaines allégations de Senault : « L’orateur de 1672, écrit-il, attribua au Martyrologe Gallican plus qu’il ne dit en affirmant que l’Église permettait que l’on inscrivit son nom parmi les martyrs reconnus par elle. Le Martyrologe Gallican se compose de deux parties : les saints proprement dits, honorés comme tels, et à la suite, pour chaque jour de l’année, sous ce titre Pii, les noms, des personnages morts en odeur de sainteté. Or, au 29 juin, — l’on ne sait pourquoi pareille date, — dans le catalogue des Pii, on lit : Martyrium Johannae puellae. »