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aux haines de classe, après le bon sens naturel de nos hommes, je ne pouvais pas trouver de meilleur antidote.

D’ailleurs, aux centaines de prisonniers ou de délégations que je recevais, je faisais ressortir que tout le retard apporté à leur rapatriement, était le fait du désordre et de la décomposition générale, de l’absence de toute autorité, du trouble des communications ferrées, télégraphiques, téléphoniques. Cette constatation, in anima vili, valait tous les discours. En certains endroits, il fallait vaincre la résistance des « soldatenräthe. » Ils avaient proposé aux prisonniers d’élire des membres pour les représenter dans ces conseils et traiter, en camarades, avec eux. Partout ce fut refusé. Les prisonniers répondirent qu’ils avaient leurs comités de secours, fonctionnant depuis longtemps, ayant fait leurs preuves et conservant toute leur confiance. Ces comités de secours, puis mes officiers, eurent au début des scrupules à entrer en relations avec les soldatenräthe. Mais comme ceux-ci représentaient généralement la seule autorité de fait, c’est à eux qu’il fallait s’adresser lorsque le commandant du camp avait abdiqué toute direction.

Je craignis un moment d’avoir obtenu trop de puissance. Beaucoup de mes braves officiers dans leur ardeur ne voulaient plus reconnaître l’autorité allemande. Je me demandais parfois s’ils n’allaient pas mobiliser leur camp et marcher sur Berlin à la tête de leurs hommes. Il ne leur aurait pas été difficile de se procurer des armes. Il y en avait partout à vendre, sinon à prendre. Je des parfois tempérer des excès d’indépendance. De grandes libertés étaient données aux prisonniers. Presque partout ils pouvaient sortir du camp pour se promener. Je n’étais pas sans crainte des suites de cette liberté subite succédant à un régime de fils de fer. Des commandants allemands de camp me faisaient dire de préciser moi-même le degré de libellé que je voulais donner.

L’attraction de la Pologne, voisine et maintenant indépendante, fit passer la frontière a beaucoup. Reçus avec enthousiasme à Posen et à Varsovie, je ne les revis plus. Ils rejoignirent la France sans traverser l’Allemagne. Un camp entier, celui de Skalmyrcyce, fut ainsi adopté par les Posnaniens soulevés. Tout contrôle de ce qu’il était devenu me fut impossible. Je ne rencontrai de difficultés sérieuses qu’en Poméranie. Dans cette province où la haine du Français fut de tout temps parti-